Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-269
10 mai 2021

Madame la Présidente, je voudrais d’abord soulever certaines questions, notamment au sujet des conservateurs, qui disent prendre des mesures concrètes, pratiques et tangibles.

Premièrement, pourquoi maintenant? Pourquoi les conservateurs n’ont pas fait cette proposition avant, disons en 2012, lorsqu’ils ont créé et publié dans la Gazette le Règlement sur les effluents des systèmes d’assainissement des eaux usées? Était-ce un oubli de leur part? Deuxièmement, pourquoi le député n’a-t-il pas présenté son projet de loi d’initiative parlementaire en 2015, après avoir quitté la présidence? Troisièmement, pourquoi, quatre ans plus tard, lorsqu’il était chef de son parti, le député n’a-t-il pas inclus cette proposition dans la plateforme électorale de 2019 des conservateurs?

La Loi sur les Pêches interdit déjà le rejet de substances nocives, y compris d’eaux usées, dans des eaux où vivent des poissons sauf si cela est expressément permis par règlement. La vérité, c’est que le règlement du gouvernement Harper sur les eaux usées accorde de facto aux municipalités une exemption à l’interdiction de rejeter des substances nocives — des eaux usées — dans des eaux où vivent des poissons. Cette exemption ne donnait cependant pas carte blanche aux municipalités. Elle comportait des limites quant à la quantité de substances qui peuvent être rejetées dans l’environnement. Le règlement sur les eaux usées impose également un échéancier aux municipalités pour la mise en place de systèmes respectant les normes en matière d’épuration secondaire, un procédé biologique qui permet de retirer jusqu’à 95 % des contaminants, ou la mise aux normes de leurs systèmes existants.

À titre d’information, six milliards de mètres cubes d’eaux usées sont rejetés chaque année dans les écosystèmes marins et d’eaux douces du pays. Environ 72 % de ces eaux subissent au moins un traitement secondaire, et 25 % sont insuffisamment traitées. Les 3 % restants sont les eaux usées non traitées qui sont constamment rejetées dans les collectivités sans usine de traitement des eaux usées, les eaux usées qui sont rejetées dans des réseaux d’égout qui peuvent déborder lors de pluies abondantes et dans lesquels les eaux usées passent par la même conduite que les eaux pluviales, les eaux contaminées par des déversements attribuables à de l’équipement défectueux ou de la négligence, et enfin, les eaux usées dont le rejet est parfois jugé nécessaire lorsqu’on prévoit construire ou entretenir un réseau.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner l’incompétence dont le gouvernement Harper a fait preuve en 2015, en pleine campagne électorale, lorsqu’il a été pris au dépourvu par la décision de la ville de Montréal de rejeter des eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent. Ce déversement avait été jugé nécessaire pour entretenir un intercepteur clé du réseau d’eaux usées de la ville. Mentionnons que Montréal a une seule immense usine de traitement des eaux usées — la plus grande d’Amérique du Nord et la troisième en importance dans le monde — qui assure le traitement primaire et secondaire des eaux usées. La ville est en train d’y intégrer un processus d’ozonisation pour que l’usine puisse effectuer un traitement tertiaire d’ici 2023, ce qui en fera la plus grande usine du monde à employer ce procédé.

L’île est ceinturée par un réseau d’égouts incliné d’ouest en est, et l’usine de traitement se trouve à l’extrémité est de l’île. La gravité achemine les eaux usées de toute l’île jusqu’à l’usine, ce qui réduit l’utilisation de stations de pompage énergivores en cours de route. L’île ne comporte aucune usine de rechange pour les eaux usées, donc, aucune soupape de sûreté, pour ainsi dire. S’il arrive un pépin à l’usine, la Ville et les communautés en aval se retrouvent avec un énorme problème sur les bras.

En 2015, la Ville a demandé à la province de Québec l’autorisation de procéder à un déversement planifié et l’a obtenue. La Ville a également communiqué avec Environnement Canada en septembre 2014 et en septembre 2015, mais, si j’ai bien compris, elle n’a obtenu aucune réponse. Le gouvernement conservateur ne s’est rendu compte de la situation qu’une fois qu’on en a parlé dans les médias, au Canada et à l’étranger, et il a habilement reporté la question après les élections.

Le 9 novembre 2015, le gouvernement libéral nouvellement élu a émis un arrêté ministériel en vertu de l’article 37 de la Loi sur les pêches pour exiger que la Ville de Montréal fasse des modifications à son plan initial de rejet d’eaux usées. Les modifications exigées étaient fondées sur les recommandations d’un groupe d’experts. Il faut souligner que le gouvernement libéral n’avait pas autorisé le rejet en question, même si la province l’avait fait. L’article 37 de la loi, bien qu’il ne donne pas au gouvernement fédéral le pouvoir d’autoriser un rejet comme celui-là, permet au ministre d’« exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages, entreprises ou activités, ou aux documents s’y rapportant, qu’il estime nécessaires dans les circonstances ». C’est précisément ce qu’a fait la nouvelle ministre, également députée d’Ottawa- Centre. À la lumière des recommandations du groupe d’experts, elle a ordonné que la Ville modifie son plan de manière à réduire au minimum les impacts sur l’environnement.

Environnement et Changement climatique Canada tient actuellement des consultations dans le but d’améliorer les dispositions sur les dérivations temporaires. Ces dispositions sont prévues aux articles 43 à 49 du Règlement sur les effluents des systèmes d’assainissement des eaux usées. En vertu du règlement actuel, une autorisation de dérivation permettant de rejeter des eaux usées non traitées ne peut être donnée que pour des travaux d’entretien effectués à une usine de traitement des eaux usées, c’est-à-dire au point de rejet final, et non à d’autres endroits dans le système.

Les modifications prévues à la réglementation visent à permettre au gouvernement de délivrer des autorisations temporaires de dérivation pour des travaux effectués à l’extérieur de l’usine elle-même, créant ainsi un cadre réglementaire visant à encourager une meilleure planification des rejets d’urgence comme celui qui a été fait à Montréal.

C’est là qu’entre en scène le projet de loi C-269, qui vise à ériger en infraction tout rejet d’eaux usées non traitées dans des eaux où vivent des poissons. Cela semble fantastique, mais il est fréquent que les projets de loi d’initiative parlementaire ne soient pas rédigés avec l’aide d’experts et qu’ils visent davantage à obtenir un effet politique qu’à atteindre un objectif constructif, comme c’est le cas en l’occurrence.

S’il est adopté, le projet de loi C-269 pourrait avoir de graves conséquences involontaires pour l’environnement.

Premièrement, l’interdiction proposée s’appliquerait à des eaux usées qui ont déjà été traitées selon des normes élevées, car même les effluents qui sont soumis à des niveaux de traitement avancés contiennent toujours des contaminants provenant d’eaux usées qui n’ont pas été séparés et extraits, comme l’exige le projet de loi. Par conséquent, toutes les collectivités au pays pourraient contrevenir au projet de loi, peu importe le degré de traitement des eaux usées dans la majorité des cas. Ces collectivités devraient donc fermer leur usine de traitement des eaux usées.

Deuxièmement, la définition d’eaux usées non traitées que donne le projet de loi C-269 est ambiguë et pourrait ne pas se limiter aux eaux souillées provenant d’appareils sanitaires ou de sources résidentielles. La définition pourrait en effet englober les effluents des sites industriels, commerciaux et institutionnels qui contiennent de faibles niveaux d’eaux souillées. Le projet de loi pourrait donc nuire à l’élaboration et à la mise en œuvre de règlements visant à contrôler les effluents industriels. Par exemple, le projet de loi pourrait entraver la mise à jour qui a été entreprise des règlements concernant les pâtes et papiers, et dont l’objectif est, entre autres, d’y assujettir des établissements fabriquant des produits non traditionnels à partir du bois et d’autres végétaux, et d’abaisser les limites actuelles des effluents et d’en imposer de nouvelles pour d’autres substances.

Troisièmement, le Nord ne serait pas assujetti à ce projet de loi, car c’est une région où la Loi sur les pêches interdit déjà, de façon générale, le déversement de substances nocives dans les eaux de pêche, sauf si une entente bilatérale passée avec le gouvernement fédéral permet de créer un dispositif réglementaire équivalent au règlement relatif aux effluents des systèmes d’eaux usées. Cela signifie que les mécanismes de contrôle et de surveillance de la pollution qui s’appliquent actuellement dans le Nord, en vertu d’une entente bilatérale avec le gouvernement fédéral, seront remis en question si ce projet de loi est adopté.

Il y a beaucoup d’exemples qui montrent que les mesures proposées dans le projet de loi C-269, même si elles paraissent souhaitables au premier abord, ne peuvent pas, après mûre réflexion, être considérées comme la meilleure façon de protéger l’environnement et la santé de la population. À ce propos, je renvoie au travail du regretté David Schindler de la Région des lacs expérimentaux, un laboratoire de reconstitution de la vie réelle en eau douce qui a fait parler beaucoup de lui il y a quelques années, lorsque le gouvernement Harper a voulu le fermer.

À une certaine époque, on pensait que l’azote provenant des eaux usées était probablement à l’origine de l’apparition des algues dans les lacs, de sorte qu’on envisageait d’investir des milliards de dollars pour modifier les usines de traitement de l’eau en fonction de cette nouvelle donnée. Toutefois, une reconstitution de la vie réelle en eau douce, pendant 37 ans, dans la région des lacs expérimentaux, a démontré que ce n’était pas le cas et que le coupable était plutôt le phosphore. On a donc décidé d’éliminer les phosphates des produits de lessive, ce qui a évité de procéder à des adaptations coûteuses et inutiles des usines de traitement de l’eau pour éliminer l’azote.

Au final, je suis bien obligé de dire que ce projet de loi n’est sans doute qu’un exercice de relations publiques sur un sujet qui mérite plus de sérieux et de diligence.

 

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