Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
DISCOURS : le projet de loi C-13 (modifications à la Lois sur les sur les languages officielles)
06 avril 2022

Monsieur le Président, c’est un plaisir pour moi de me lever à la Chambre aujourd’hui pour débattre de ce projet de loi très important pour notre pays et pour les communautés de langue officielle partout au pays.

Au Canada, nous avons une Constitution qui est faite sur mesure pour une fédération moderne comme la nôtre — certains diraient peut-être qu’elle est post-moderne —, où la population n’est pas homogène. C’est-à-dire que c’est une fédération qui regroupe des groupes culturels, des peuples et des nations différents qui vivent ensemble dans le respect mutuel, qui s’accommodent et qui travaillent ensemble pour bâtir un projet de société ancré dans des principes sur lesquels nous sommes tous d’accord.

Je parle, évidemment, des peuples autochtones, des Français de la Nouvelle-France et des colons britanniques auxquels se sont ajoutés, au cours des décennies et des siècles, des gens appartenant à d’autres cultures qui, tous ensemble, ont façonné cette nouvelle réalité canadienne. Notre Constitution est faite pour le monde moderne, pour un monde qui devient de plus en plus complexe, où les frontières nationales ne reflètent pas toujours les contours des groupes culturels historiques, c’est-à-dire où différents groupes partagent le même pays.

Parmi les piliers de notre démocratie constitutionnelle, on retrouve la Charte canadienne des droits et libertés, qui est l’une des chartes des droits les plus sages et les plus progressistes du monde. La diversité de notre pays invite à la modération et au compromis. La Charte comprend notamment l’article 1, par lequel les droits ne sont pas considérés comme étant absolus, mais plutôt tempérés lorsqu’il est raisonnable de le faire.

Comme autre pilier essentiel de notre démocratie, outre la reconnaissance constitutionnelle des droits des Autochtones, on retrouve l’inclusion, dans la Charte, des droits des minorités de langue officielle. Il est très important d’indiquer clairement — et c’est un message que je veux transmettre aux personnes issues des minorités de langue officielle qui nous regardent aujourd’hui — que les droits linguistiques prévus dans notre Constitution échappent à la portée de la disposition de dérogation, qui a beaucoup attiré l’attention et qui, à mon avis, a commencé à être utilisée négligemment par divers gouvernements.

Je parle du droit à l’instruction dans la langue de la minorité prévu à l’article 23 de la Charte, de même que du droit prévu à l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique d’employer l’anglais ou le français dans les tribunaux du Canada et ceux du Québec, droit qui s’applique également aux tribunaux du Manitoba au titre de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870 et aux tribunaux du Nouveau‑Brunswick conformément à la modification à la Charte apportée par la province en 1993. Ces droits ne sont pas assujettis à la disposition de dérogation et sont importants pour les communautés linguistiques en situation minoritaire.

La Loi sur les langues officielles renforce la protection et la promotion de ces garanties linguistiques prévues par la Consitution en protégeant et en encourageant l’emploi des langues officielles dans un contexte fédéral, notamment dans la fonction publique fédérale et dans les sociétés d’État telles que Postes Canada, Air Canada, VIA Rail, le CN et NAV CANADA.

Dans une démocratie constitutionnelle, ce sont les tribunaux indépendants qui statuent sur les droits constitutionnels à travers le prisme des valeurs les plus fondamentales au pays. Aucun programme n’a contribué davantage à la protection des minorités de langues officielles que le Programme de contestation judiciaire fédéral. Ce programme offre du financement aux particuliers qui veulent présenter une cause devant les tribunaux pour protéger leurs droits, y compris leurs droits linguistiques, contre des lois et des politiques qui menacent ces droits.

Des commissions scolaires anglophones au Québec ont eu recours récemment au Programme de contestation judiciaire pour se protéger contre le projet de loi 40 du gouvernement Legault. Le projet de loi vise à éliminer les commissions scolaires, institutions qui jouent un rôle central au sein des communautés de la minorité anglophone du Québec.

Comme nous le savons, il y a eu une décision judiciaire selon laquelle le gouvernement du Québec pouvait éliminer les commissions scolaires, mais pas les commissions scolaires anglophones, car la communauté jouit d’une protection relative aux droits linguistiques des minorités en vertu de la Constitution. Cette affaire continue de suivre son cours devant les tribunaux. Auparavant, le Programme a été crucial pour protéger l’Hôpital Montfort d’Ottawa contre les tentatives ignobles du gouvernement Harris de fermer cette institution, qui est si essentielle pour la population francophone de l’Ontario.

Comme promis, le projet de loi C-13 renforcerait le Programme de contestation judiciaire en y faisant implicitement référence dans le texte du projet de loi, à l’alinéa 43(1)c) de la Loi pour être plus précis. J’avoue que la référence pourrait être plus explicite et plus définitive. Nous verrons ce qui se passera au comité. Nous verrons si quelqu’un propose un amendement pour rendre cet alinéa un peu plus précis. Cependant, comme tout programme gouvernemental, qu’il s’agisse ou non d’une loi, son efficacité est en fin de compte directement liée à son budget.

La contestation d’une loi comme la loi 40 au moyen d’un long processus d’appel peut s’avérer coûteuse. On m’a dit qu’il pourrait en coûter jusqu’à 1 million de dollars aux commissions scolaires anglophones du Québec pour contester la loi 40 jusqu’à la Cour suprême. Je crois que cela excède la capacité du programme de contestation judiciaire. Je demande donc au gouvernement d’augmenter le budget de ce programme. Il s’agirait d’argent bien dépensé pour défendre les principes fondamentaux auxquels les Canadiens tiennent, d’autant plus que le programme électoral libéral de 2021 en prend l’engagement.

Je représente une circonscription du Québec fortement anglophone. Il s’agit néanmoins d’une circonscription bilingue pourvue d’une commission scolaire anglophone qui offre de l’enseignement primaire et secondaire bilingue et en immersion française. Avec raison, la collectivité est attachée à ses écoles et aux droits à l’éducation de ses enfants.

Le nouveau paragraphe 41(4) de la version modernisée Loi sur les langues officielles contribuerait au maintien de ces droits en exigeant que le gouvernement adopte une attitude proactive, en organisant un recensement, pour aider à faire une estimation:

« [...] du nombre d’enfants dont les parents ont, en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, le droit de les faire instruire dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province ou d’un territoire, y compris le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique. »

Je tiens à saluer tout le travail de mon collègue de Sackville—Preston—Chezzetcook, qui n’a pas ménagé ses efforts pour que le recensement serve à estimer le nombre de personnes en milieu linguistique minoritaire à l’échelle du pays ayant des droits prévus dans la Constitution.

Qu’ils soient là depuis des générations ou qu’ils viennent d’arriver, les anglophones du Québec sont profondément enracinés, par choix, dans la société québécoise et en font partie intégrante. Ils sont profondément attachés à leur vie au seul endroit en Amérique du Nord où le français est largement utilisé au quotidien. Ils souhaitent rester au Québec et contribuer à son développement, mais il leur faut des perspectives d’emploi pour y parvenir.

La représentation des anglophones dans la fonction publique fédérale au Québec est, si je comprends bien, inférieure au poids démographique de cette communauté. Le projet de loi C‑13 aidera, espérons-le, à combler cet écart de deux façons. Le paragraphe 41(5) de la version modernisée de la Loi sur les langues officielles prévoirait l’obligation pour le gouvernement fédéral de prendre des mesures positives concrètes afin de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d’appuyer leur développement, y compris, vraisemblablement, en veillant à ce que les anglophones occupent la place qui leur revient au sein de l’administration fédérale au Québec.

De plus, le projet de loi C‑13 étendrait le rôle du Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor serait tenu d’établir des principes et des directives d’application de l’exigence de prendre des mesures positives et il serait chargé « de l’élaboration et de la coordination générales » de ces mesures positives dans l’ensemble des ministères. C’est un ajout très important à la Loi sur les langues officielles.

Il vaut la peine de souligner que dans le projet de loi C‑32, le prédécesseur du projet de loi C‑13, c’était quelque chose de discrétionnaire, et non d’obligatoire comme ce l’est dans le projet de loi C‑13. En vertu de ce dernier, le Conseil du Trésor sera aussi tenu de « surveiller et vérifier l’observation par les institutions fédérales » des principes et instructions mentionnés plus tôt.

Comme dans le projet de loi C‑32, on a accru le rôle et les pouvoirs d’exécution du commissaire aux langues officielles, y compris le pouvoir de conclure des accords de conformité. Après l’adoption du projet de loi  C‑13, le paragraphe 64.1(1) de la Loi sur les langues officielles modernisée se lira comme suit:

« Si, au cours de l’enquête ou au terme de celle-ci, le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu’une institution fédérale a contrevenu à la présente loi, il peut conclure avec cette institution un accord de conformité visant à la faire respecter. »

Comme il a été mentionné, en plus de modifier la Loi sur les langues officielles, le gouvernement présente aussi une nouvelle loi, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Cette nouvelle loi réaffirme le rôle d’Ottawa dans la réglementation des entreprises de compétence fédérale au Québec. Je sais que certains partis à la Chambre s’y opposent. Si ma mémoire est bonne, tous les partis de l’opposition sont en faveur de céder cette compétence à la province.

À mon avis, cette deuxième loi renforcera le bilinguisme dans les entreprises de compétence fédérale. Elle donnera aux consommateurs au Québec:

« [...] le droit de communiquer en français avec des entreprises privées de compétence fédérale qui exercent leurs activités au Québec [...] et de recevoir des services de celles-ci dans cette langue. »

C’est déjà la réalité, en pratique.

Les anglophones du Québec ne seront pas opposés à ce principe. Soulignons que la communauté anglophone du Québec est en très grande partie bilingue. Je ne me souviens pas d’avoir vu, au Québec, une situation où un consommateur francophone n’avait pas pu se faire servir en français par un employé anglophone. En fait, on assiste parfois à une sorte de danse un peu étrange: un anglophone entre dans un commerce, un commis lui demande en français s’il peut faire quelque chose pour lui, l’anglophone ne sait pas vraiment si le commis est anglophone ou francophone, et on se retrouve avec deux anglophones qui se parlent en  français. C’est une situation fréquente et non dénuée d’humour.

Précisons que le projet de loi C‑13 n’empêchera pas les consommateurs de faire affaire avec les entreprises en anglais. Comme le dit le paragraphe 7(3):

« Il est entendu que les droits prévus au paragraphe (1) n’empêchent pas les consommateurs, s’ils le souhaitent, de communiquer en anglais ou dans toute autre langue avec l’entreprise privée de compétence fédérale ou de recevoir de celle-ci des services dans cette langue, dans la mesure où elle est apte à le faire. »

En ce qui concerne la langue de travail, le paragraphe 9(1) indique que les employés d’une entreprise privée de compétence fédérale ont le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français. Une fois de plus, je ne pense pas que cet énoncé de principe pose un problème aux anglophones vivant au Québec — en tout cas, pas dans ma collectivité. Par la suite, ce point fera bien évidemment l’objet d’une réglementation pour déterminer comment ce droit doit s’exercer, et nous verrons alors ce que dit la réglementation.

Les employés auront aussi le droit d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques en français. Encore une fois, cela n’enlève rien aux anglophones. Les interfaces logicielles offrent cette possibilité. Je suis convaincu qu’on en tiendra compte dans la réglementation.

Le droit au bilinguisme sur le lieu de travail est renforcé au paragraphe 9(3), qui précise:

« Le droit prévu à l’alinéa (1)b) n’empêche pas de communiquer ou de fournir de la documentation dans les deux langues officielles... »

Ainsi, on constate que le projet de loi renforce la valeur fondamentale qui sous-tend la Loi sur les langues officielles, c’est-à-dire, bien entendu, le bilinguisme.

Par ailleurs, le paragraphe 10(2) proposé dit: « Lorsqu’elle établit les mesures visées au paragraphe (1) », c’est-à-dire les mesures en vue de promouvoir l’usage du français dans ces lieux de travail, « l’entreprise privée de compétence fédérale tient compte des besoins des employés qui sont près de la retraite, ont un grand nombre d’années de service ou présentent une condition qui pourrait nuire à l’apprentissage du français. »

Je crois qu’il faudra peut-être amender cette disposition. Elle semble évoquer des problèmes de santé qui pourraient nuire à l’apprentissage du français, mais il y a bien des raisons pour lesquelles certaines personnes demeurent unilingues qui n’ont rien à voir avec la santé. Je crois qu’il faut en tenir compte.

De plus, le paragraphe 11(2) proposé dit: « L’entreprise privée de compétence fédérale [...] ne peut traiter défavorablement un employé qui occupe un poste dans un de ces lieux de travail ou dont le poste est rattaché à un de ces lieux de travail à l’entrée en vigueur du présent paragraphe au seul motif qu’il n’a pas une connaissance suffisante du français. »

La grande majorité des anglophones du Québec sont bilingues et le deviennent de plus en plus chaque jour. Cette disposition ne devrait pas avoir d’incidence négative sur eux. La réglementation jouera un rôle clé pour assurer une flexibilité adéquate qui protège tout le monde.

Un grand nombre d’entreprises de compétence fédérale, voire la plupart d’entre elles, ont à traiter avec des entités d’en dehors de la province. On peut penser aux entreprises de logistique ou de transport de fret, dont plusieurs se trouvent dans ma région. Cela renforce la valeur concrète du bilinguisme dans le secteur privé sous réglementation fédérale, ce qui m’amène au paragraphe 11(3), qui dit:

« Pour l’application du paragraphe (1), le fait d’exiger d’un employé la connaissance d’une langue autre que le français ne constitue pas un traitement défavorable si l’entreprise privée de compétence fédérale est capable de démontrer que la connaissance de cette langue s’impose objectivement en raison de la nature du travail à accomplir. »

En règle générale, les entreprises de compétence fédérale font des affaires à l’international, alors elles ont besoin de personnes bilingues.

Cela dit, je crois fermement que ni un francophone ni un anglophone — autrement dit personne — ne devrait se voir refuser un emploi dans une entreprise sous réglementation fédérale parce qu’il ne parle pas les deux langues officielles, de la même manière qu’il ne se verrait pas refuser un emploi dans la fonction publique fédérale parce qu’il ne parle qu’une seule des deux langues officielles, à moins qu’il s’agisse d’un poste qui exige le bilinguisme. J’espère que la réglementation respectera ce principe fondamental de la Loi sur les langues officielles.

J’aimerais que le règlement qui sera pris en vertu du projet de loi C‑13 garantisse, d’une façon ou d’une autre, ce droit de travailler. Peut-être que cela pourrait se faire au moyen d’amendements au projet de loi. D’un point de vue pratique, compte tenu de la grave pénurie de main-d’œuvre actuelle, il serait préférable pour les employeurs et pour l’économie de la province que la loi ne mette pas de bâtons dans les roues des entreprises sous réglementation fédérale en les empêchant de recruter et d’embaucher du personnel qualifié.

 

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