Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : Budget 2022
26 avril 2022

Madame la Présidente, j’aimerais dédier mon discours d’aujourd’hui à Tania Woroby, ancienne enseignante maintenant à la retraite, mais qui m’a donné mon tout premier cours d’économie quand j’étais au cégep à Montréal. Mme Woroby avait le don d’expliquer l’économie avec une grande clarté.

Un bon prof d’économie, comme les députés de Joliette et de Mirabel en conviendront, peut jouer un rôle décisif.

Comment Mme Woroby aurait-elle noté la réponse de l’opposition officielle au budget? Elle lui aurait probablement attribué une mauvaise note pour son analyse partielle de la situation économique. Toutefois, étant une professeure gentille et patiente, elle lui aurait peut‑être permis de refaire l’examen de mi‑session.

Comme je l’ai appris dans la classe de Mme Woroby, il y a une économie réelle et une économie monétaire, et les deux sont effectivement liées. Cependant, les conservateurs s’entêtent à ne pas tenir compte de ce qui se passe dans l’économie réelle. Ils se concentrent uniquement sur la politique monétaire. Cela semble injustifié puisque le gouvernement n’exerce aucun contrôle sur celle-ci, comme le premier ministre a tenté à maintes reprises de l’expliquer le plus simplement possible.

La Grande Dépression a mis en évidence les répercussions potentielles des événements catastrophiques dans l’économie réelle. Durant cette période, nous avons observé l’effondrement de l’agriculture, les séquelles de la surproduction industrielle, la montée du protectionnisme commercial et une crise de confiance généralisée, un concept que Keynes décrit par le terme « esprits animaux ». La combinaison de tous ces facteurs a contribué à l’effondrement catastrophique de l’économie, dans un contexte de diminution de la masse monétaire liée à un nombre considérable de faillites bancaires. La masse monétaire est toujours à l’arrière‑plan mais, contrairement à ce que croient les conservateurs, elle n’est pas le principal moteur de l’activité économique.

Comme l’a exprimé Andrew Coyne dans une chronique récente, l’inflation n’est pas « le fait d’avoir trop d’argent pour trop peu de biens ». C’est plutôt le prix d’un bien ou d’un service qui augmente lorsque la demande dépasse l’offre. Par exemple, si le prix des oranges augmente parce qu’un gel en Floride a endommagé les récoltes, cela ne correspond pas à de l’inflation. C’est un signal de prix comme quoi l’offre en matière d’oranges est faible par rapport à la demande, un écart que le libre marché comblera en offrant des substituts plus économiques.

L’assouplissement quantitatif, parfois appelé « mesures monétaires non conventionnelles », n’a pas fait grimper l’inflation aux États‑Unis entre 2009 et 2015, lorsque la Réserve fédérale américaine y a eu recours en réponse à la crise financière de 2008, parce que l’état de la demande dans l’économie réelle était faible, voire déflationniste. Ce qu’a fait l’assouplissement quantitatif, c’est sauver l’ordre financier international. L’assouplissement quantitatif occupe une place centrale depuis le début de la pandémie, mais ce n’est pas ce qui a alimenté l’inflation. Comme le dit Ian Lee, professeur de sciences économiques de l’Université Carleton: « Depuis deux ans, les gens réalisent que certaines choses ne sont pas aussi indispensables qu’ils le croyaient. »

En outre, ceux qui ont reçu des prestations liées à la COVID n’ont pas dépensé plus. Essentiellement, ils ont emprunté moins et économisé davantage. Le taux d’épargne des foyers canadiens a augmenté pendant la pandémie et la majeure partie de cette épargne est encore dans des comptes en banque personnels. Les dépôts bancaires ont augmenté en moyenne de 12 000 $ par ménage, par rapport aux tendances d’avant la pandémie. Il convient également de mentionner que les consommateurs devraient moins utiliser leur carte de crédit en 2022 et payer davantage en argent comptant. D’après Nicole McKnight de finder.com: « Il y a trois fois plus de gens qui déclarent vouloir arrêter d’utiliser leur carte de crédit ou vouloir l’utiliser moins souvent que de gens qui disent vouloir l’utiliser plus. » Rien de cela ne suggère une frénésie dépensière alimentée par le crédit qui serait liée à l’inflation.

L’assouplissement quantitatif est différent de la création de liquidités. On n’imprime pas de l’argent, comme le répète le député de Carleton à l’envi. L’assouplissement quantitatif permet de créer des réserves pour les banques à charte qui sont détenues par la Banque du Canada. Ces réserves peuvent être facilement transformées en prêts, mais ce n’est pas automatique. Cela ne peut se produire que s’il existe des possibilités de prêts rentables, notamment de prêts aux entreprises qui veulent s’agrandir, et c’est en fait un moyen d’atténuer la pression inflationniste.

Comme le dit l’économiste en chef de la gestion de placements chez Manuvie: « Depuis bientôt un demi-siècle, on considère l’économie sous l’angle de la demande. Ce qui est remarquable [aujourd’hui], c’est le choc de l’approvisionnement. Il faut remonter aux années 1970 pour en retrouver l’équivalent. » Autrement dit, pour citer l’économiste Armine Yalnizyan: « À l’ère du coronavirus, la donne a changé. »

Depuis deux décennies, nous vivons dans un contexte de mondialisation des échanges, avec des chaînes d’approvisionnement planétaires conçues pour la livraison juste à temps et des entrepôts qui ne contiennent que le strict minimum alors que, s’ils avaient été mieux garnis, ils auraient permis de mieux absorber les soubresauts de l’approvisionnement causés par la COVID. Confronté aux confinements dans les grands ports et dans les usines, le système mondial de livraison juste à temps s’est effondré.

L’économie en temps de pandémie est caractérisée par les contraintes en matière de capacité et le transfert de la demande pour des services comme les voyages et la restauration vers l’achat de biens, commandés en grande partie en ligne, plutôt que par l’effet d’une trop grande masse monétaire pour la quantité de biens offerts. Je pense notamment aux pénuries de semiconducteurs pour les voitures et les machines à laver, à la construction domiciliaire qui a été suspendue pendant plusieurs semaines, voire des mois, lors des confinements et à la diminution de la capacité de production dans le secteur du pétrole et du gaz provoquée par la réduction des effectifs en raison de la chute précipitée de l’activité économique pendant la pandémie. Évidemment, la guerre en Ukraine cause de l’incertitude dans les marchés énergétiques, ce qui entraîne une hausse des prix qui se traduit par une hausse du coût de la production alimentaire, entre autres.

Le prix de l’énergie pourrait bientôt se stabiliser. Selon un article publié le 12 avril dans le New York Times au sujet des impacts du cours mondial du pétrole sur l’inflation aux États‑Unis:

[...] il semblerait maintenant que le marché mondial du pétrole ait surchauffé en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie [...] La mise sur le marché d’un million de barils par jour de la réserve stratégique de pétrole, annoncée par le président Biden, compense en grande partie le déficit [d’approvisionnement en pétrole russe]. En date de ce matin [le 12 avril], le cours du brut dépassait à peine son niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine, et le prix de gros de l’essence avait baissé d’environ 60 cents le gallon par rapport à son pic du mois dernier.

Il y a aussi les effets du changement climatique sur l’agriculture. Voici un extrait d’un article de CTV datant de janvier dernier:

Selon une étude récente de la NASA, l’agriculture mondiale doit faire face à une nouvelle réalité climatique et, compte tenu du caractère intégré du système alimentaire mondial, les répercussions du changement climatique sur le grenier d’une région se feront sentir dans le monde entier.

D’après le Rapport sur les prix alimentaires canadiens, en 2021, le pays a connu des conditions météorologiques défavorables liées au changement climatique, qui ont entraîné notamment de violents incendies de forêt en Colombie-Britannique et une sécheresse dans les Prairies, ce qui a eu une incidence sur les prix de la viande et des produits de boulangerie.

Enfin, il y a les pénuries de main-d’œuvre, que nous ne connaissons que trop bien, notamment chez les travailleurs portuaires et les chauffeurs, qui sont essentiels au bon fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. En 2020, au Canada, la pandémie a fait chuter les niveaux d’immigration et a contraint des centaines de milliers de femmes à quitter le marché du travail. C’est pourquoi nous investissons dans l’immigration et les services de garde d’enfants.

Pour constater l’impact de l’inflation du côté de l’offre, il suffit d’examiner les divers éléments qui composent l’Indice des prix à la consommation. Les principales composantes responsables de la hausse de cet indice, lorsqu’on compare février 2022 à février 2021, sont les coûts du transport, en hausse de 8,4 %; le prix des aliments, en hausse de 6,5 %; et les frais de logement, en hausse de 6,6 %. Ces derniers ne doivent pas être confondus avec le coût du logement, mais ils comprennent les intérêts hypothécaires, les impôts fonciers, et les combustibles et l’électricité. Lorsqu’on retire l’énergie et les aliments de l’équation, le taux d’inflation en février n’était que de 3,9 %. En examinant les données sur l’inflation pour le mois de mars, nous avons vu que le prix de l’essence a augmenté d’environ 40 % par rapport à l’an dernier. Bien que les intérêts sur les prêts hypothécaires, les charges courantes, le loyer et l’ameublement figurent dans le panier de biens qui forment l’Indice des prix à la consommation, celui-ci n’inclut pas le prix des maisons. Cela s’explique par le fait que les maisons sont des immobilisations.

Les guerres d’enchères ont fait grimper les prix des maisons à des niveaux sans précédent, ce qui est clairement et partiellement attribuable au fait que les gens s’éloignent des zones centrales et qu’il y a une pénurie de nouvelles offres et de prêts hypothécaires à bon compte. Cependant, l’inflation des actifs immobiliers n’exerce pas la même pression sur le revenu disponible qu’une hausse de l’Indice des prix à la consommation, mais elle crée une inégalité intergénérationnelle et c’est un problème. C’est pourquoi le budget vise à augmenter l’offre de logements et à les rendre plus abordables. De façon indépendante, bien sûr, la Banque du Canada s’attaque au problème des taux d’intérêt et du coût des prêts hypothécaires.

La politique monétaire, cependant, peut entraver radicalement l’activité économique. Elle peut causer de grandes difficultés à un grand nombre de personnes. Nous pouvons penser aux mesures qui ont été prises par la Réserve fédérale américaine pendant l’administration Reagan, lorsque l’ancien président de la réserve, Paul Volcker, a enrayé l’inflation de l’économie américaine au moyen d’une politique monétaire agressive et restrictive qui a créé une profonde récession.

La question que doit se poser l’opposition officielle est la suivante: qu’aurait dû faire la Banque du Canada au début de la pandémie de COVID‑19? Aurait-elle dû étouffer l’économie pendant une pandémie mondiale et créer une déflation digne de la Grande Dépression, détruisant du même coup la capacité de production d’une manière qui aurait eu des répercussions sur la croissance économique des générations futures? De plus, que devrait faire la Banque du Canada qu’elle ne fait pas déjà? Devrait-elle augmenter encore plus les taux d’intérêt, au point de provoquer une déflation des prix des maisons et une profonde récession? Cela ferait-il chuter les prix internationaux du pétrole et des aliments, ou ceux-ci resteraient-ils un problème, surtout pour le grand nombre de Canadiens qui se trouveraient soudainement sans emploi? Une politique de taux d’intérêt plus agressive résoudrait-elle les problèmes de la chaîne d’approvisionnement? Non, et c’est pourquoi notre budget s’attaque au problème de la chaîne d’approvisionnement.

Voilà quelques-unes des questions auxquelles l’opposition officielle doit répondre. Ce sont des réponses que les Canadiens aimeraient entendre.

 

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