Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : indépendance de la Banque du Canada
19 mai 2022

Madame la Présidente, je reconnais que le système bancaire est l’élément vital de l’économie, mais parler des banques peut parfois être un peu aride. C’est pourquoi j’aimerais parler d’autre chose aujourd’hui, soit du populisme. Qu’est‑ce que le populisme? C’est une idéologie qui met l’accent sur les idées, les préoccupations et les problèmes du peuple, le tout conjugué à la volonté politique de faire en sorte que ces idées, ces préoccupations et ces problèmes se trouvent au cœur des politiques gouvernementales.

Les conservateurs se sont approprié le terme « populiste », puisqu’ils se l’attribuent exclusivement et y prêtent une signification vertueuse. Ce que nous voyons, en fait, c’est une tentative des conservateurs de se draper dans la vertu, mais en réalité, tout le monde à la Chambre est un populiste. Quel que soit le parti auquel nous appartenons — et cela vaut aussi pour les indépendants —, nous concevons notre rôle comme celui de porte-parole de nos concitoyens afin d’exprimer leurs préoccupations à Ottawa et d’exercer, en leur nom, une influence sur les politiques gouvernementales.

La différence entre le populisme et la conception conservatrice du populisme, c’est que cette dernière comporte une dimension antagoniste: « nous contre eux ». Cette idéologie du « nous contre eux » trouve un terrain fertile sur Internet. Le populisme alimenté par Internet est semblable à une tornade. C’est une tornade qui attire les doléances de toutes sortes contre les supposées élites, les supposés empêcheurs de tourner en rond, les experts ou, du moins, les personnes bien informées. C’est une tornade mue par des histoires de complots diffusées et amplifiées par Internet, plus précisément par les médias sociaux.

Pensons par exemple aux histoires qui disent que les vaccins font plus de mal que de bien; que le gouvernement insiste pour que les gens se fassent vacciner parce qu’il veut aider les géants de l’industrie pharmaceutique; que le Forum économique mondial s’emploie en secret à nous soumettre à ses intérêts ignobles et à sa vision répressive; et que les changements climatiques ne sont qu’une idée encouragée aux Nations unies par des éco-socialistes et les méchants du gouvernement mondial qui ont fait de Greta Thunberg leur élève.

Quant à l’histoire que voici, le député d’en face l’a mentionnée dans son discours: les médias traditionnels sont simplement un organe du gouvernement; nous ne pouvons pas croire une seule de leurs paroles, même si ce qu’ils disent repose sur de solides recherches et sur des faits. Selon une autre histoire de complot, la Banque du Canada travaillerait main dans la main avec la ministre des Finances libérale dans le but de créer de l’inflation, particulièrement une inflation du prix des actifs, pour en faire profiter les amis des libéraux.

Tout cela a du sens pour un esprit réceptif, mais non critique. Le projet de loi C‑253 est destiné à alimenter le discours conspirationniste populiste. Il n’a pas beaucoup de contenu. Il est court. Il est si court qu’on se demande même pourquoi on prend le temps de le présenter et d’en débattre.

Le projet de loi exigerait que le vérificateur général soit l’un des vérificateurs de la Banque du Canada. Les vérificateurs de la Banque sont choisis par le ministre des Finances et approuvés par le Cabinet. KPMG et Ernst & Young sont actuellement les vérificateurs pour la Banque. Le projet de loi C‑253 met en cause ces vérificateurs indépendants, suggérant que d’une manière ou d’une autre ils ne font pas leur travail correctement, même s’ils sont assujettis à un code de déontologie.

L’autre problème lié à la nomination du vérificateur général à titre de l’un des vérificateurs de la Banque est que le vérificateur général n’est pas outillé pour faire le travail. Le rôle du vérificateur général est de vérifier les programmes ministériels par rapport aux buts et objectifs énoncés et de mettre en évidence les lacunes dans la prestation efficace de ces programmes. Le processus de vérification se veut constructif, mais il s’agit aussi, essentiellement, d’une critique du gouvernement. Naturellement, les partis de l’opposition utilisent les rapports du vérificateur général dans leurs efforts pour saper la confiance du public envers le parti au pouvoir.

C’est de bonne guerre et un moyen essentiel de maintenir la responsabilité démocratique, mais la Banque du Canada n’a pas de programmes à proprement parler. Elle a des objectifs en matière de politiques et des instruments de politique. Le succès de ses actions dépend d’une foule de facteurs extérieurs, comme la politique budgétaire du gouvernement et les tendances économiques internationales, y compris les chocs d’offre et autres. Ce sont tous des éléments que la Banque ne contrôle pas, contrairement à un ministère qui a un contrôle direct sur ses programmes.

Le vérificateur général n’a pas le pouvoir de porter des jugements crédibles sur le rendement de la politique de la Banque dans un contexte économique dynamique, comparativement au contexte statique des programmes bureaucratiques. Le piège dans lequel le vérificateur général pourrait facilement tomber, si on lui demandait de porter un jugement sur les politiques économiques de la Banque — en supposant qu’il accepte de le faire en premier lieu —, serait d’en arriver à des conclusions ténues, voire totalement erronées, minant ainsi la crédibilité de la Banque aux yeux du public et risquant d’entraîner une réaction populiste.

Ce que le parrain de ce projet de loi ne semble pas comprendre, c’est que le succès de la Banque à, disons, atteindre son objectif d’inflation dépend de la mesure dans laquelle le public croit en ce succès. Il n’y a rien de pire pour le bien-être économique des Canadiens qu’un public qui ne croit pas que la Banque peut contrôler l’inflation. C’est ce qui est au cœur de la redoutée boucle salaire-prix.

Le projet de loi C‑253 relève du pur populisme. C’est une tentative populiste de miner la confiance du public envers une institution hautement spécialisée dans le seul but de marquer des points politiques dans une course à la chefferie du Parti conservateur. Comme l’a dit Andrew Coyne, qui est loin d’être un apologiste de l’idéologie libérale:

Soumettre la banque à un audit ne changera pas concrètement la manière dont elle est administrée, mais là n’est pas l’objectif: l’objectif est de suggérer qu’un jeu de magouille de l’État profond s’est inséré dans les affaires de la banque et que seul un audit par une partie externe pourrait la révéler au grand jour. L’idée, c’est de diaboliser la banque, de discréditer sa direction et de miner la confiance du public à l’égard de ses politiques [...] Dans le contexte actuel, il est particulièrement dangereux de se livrer à des jeux politiques avec la banque.

Nous connaissons la rengaine. Nous avons déjà vu ce qui arrive quand les conservateurs essaient de mettre la main sur une institution publique indépendante comme Élections Canada. Certaines personnes présentes dans cette enceinte se souviennent encore de la fameuse « loi sur le manque d’intégrité des élections », que le député de Carleton avait pilotée au nom de Stephen Harper à l’époque. Les conservateurs avaient alors inventé un nouveau spectre, le spectre de « la fraude électorale » pour justifier l’entrave à l’exercice du droit de vote.

Le mot « conservateur » englobe beaucoup d’idées et d’habitudes, mais aucune n’est plus importante que la prudence. Les députés d’en face n’adhèrent pas à cette valeur conservatrice, car c’est une valeur qui n’est pas compatible avec le populisme.

 

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