Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-11 (Loi sur la diffusion continue en ligne)
13 juin 2022

Madame la Présidente, c’est la deuxième fois que je me lève pour parler de ce projet de loi. Je me suis également levé à la Chambre lors du dépôt et du débat du projet de loi C‑10. C’est un sujet auquel je m’intéresse beaucoup, et ce, depuis des années.

J’aimerais partager une petite expérience que j’ai eue avant d’être élu. J’étais adjoint législatif de mon prédécesseur, le politicien bien connu au Québec et au Canada Clifford Lincoln qui, à l’époque où je travaillais pour lui, était président du Comité permanent du patrimoine canadien, dans les années 1990. M. Lincoln est un homme visionnaire. Il voulait que le Comité entreprenne une étude assez approfondie, une étude de grande envergure, sur le système de radiodiffusion canadien. Cette étude s’est étalée sur plusieurs réunions, sur plusieurs semaines et plusieurs mois. En fin de compte, le Comité a créé une véritable brique, un tome extraordinaire, sur le système de radiodiffusion au Canada. Je crois qu’on s’en servait dans certains cours postsecondaires parce que c’était, en fait, la bible sur le système de radiodiffusion.

On se rendait compte, même à cette époque-là, que le système évoluait très rapidement avec les nouvelles technologies. Le Comité avait embauché à forfait, pour le conseiller, deux recherchistes: un universitaire de l’Université de Montréal et un universitaire de l’Université de Calgary. Je me souviens d’un des universitaires qui était expert et qui avait dit que, dans quelques années, chacun serait son propre réalisateur de documentaires. Il disait qu’on aurait un appareil et qu’on pourrait filmer toutes sortes de choses et créer ses propres vidéos et ses propres films de bonne qualité, de véritables documentaires de la vie de tous les jours. En fait, on est rendu là. Le système de radiodiffusion a évolué extrêmement rapidement.

Ce projet de loi est fondamental si on veut s’adapter à de nouvelles réalités et il presse de s’adapter. Les cultures franco-canadienne et québécoise subissent des pressions incessantes — évidemment, on le sait tous, cela a été dit à la Chambre — de la part de cette machine culturelle qui existe en grande partie aux États-Unis, qui est bien financée, très puissante et qui s’attire beaucoup de spectateurs sur une base régulière. Il y a donc des pressions énormes qui s’exercent sur la culture canadienne, y compris la culture québécoise.

Lorsque les conservateurs se butent sans cesse à ce projet de loi et, avant cela, au projet de loi C‑10, ils ne rendent pas service à ceux qui veulent défendre et promouvoir les cultures canadienne et québécoise. En traînant de la patte, les conservateurs, à mon avis, font du tort à nos créateurs canadiens, y compris nos créateurs québécois.


L’opposition conservatrice ne cesse de dire que le projet de loi C-11 est une forme de censure et de contrôle des citoyens par le gouvernement, et que les Canadiens verront en quelque sorte leur liberté de pensée limitée par une poignée d’œuvres canadiennes visibles sur le menu d’un service de diffusion en continu. Je demande aux députés de se rappeler les années 1970, lorsque le gouvernement fédéral a créé le système MAPL pour la radio. Soudainement, nous devions écouter un pourcentage minimal de musique canadienne à la radio. Imaginez une sorte de dictature de la musique.

L’essor des performances musicales canadiennes a été considérable après l’instauration du système MAPL. Dans les années 1990, les musiciens canadiens dominaient les palmarès du monde entier dans de multiples catégories. En fait, dans les années 1990, les artistes musicaux canadiens féminins ont dominé le marché mondial. Je songe notamment à Alanis Morissette, Shania Twain et Diana Krall.

Les conservateurs ne désignent pas l’application du système MAPL comme une période sombre de censure radiophonique par le gouvernement libéral de Pierre Trudeau. Après tout, contrairement à aujourd’hui, à l’époque, le public avait accès à un nombre limité de diffuseurs de musique. Les plateformes de musique en ligne n’existaient pas, et il n’y avait qu’un nombre limité de stations de radio appartenant à des sociétés, non aux auditeurs.

Pourquoi à l’époque les conservateurs n’ont-ils pas crié à la censure ou à l’absence de choix? Pourquoi ne se sont-ils pas insurgés parce que les gens ne pouvaient pas choisir ce qu’ils voulaient écouter ou à cause de l’absence de sources différentes, du nombre restreint de stations de radio ou du fait que si les gens souhaitaient écouter autre chose, ils devaient payer le disquaire, ce qui constituait une forme de taxe.

Pourquoi les conservateurs n’ont-ils pas dit « Cessez de nous dire quoi écouter à la radio? » Ils n’ont jamais demandé pourquoi le gouvernement libéral à Ottawa ne laissait pas les gens écouter ce qu’ils souhaitent ou pourquoi il fallait écouter entre autres The Band, The Guess Who, Susan Jacks, Robert Charlebois, Ian et Sylvia, et Michel Pagliaro, parallèlement aux Rolling Stones, à Led Zeppelin et à Bob Dylan.

Les députés savent-ils pourquoi? C’est parce que les conservateurs avaient des chefs modérés et raisonnables à l’époque, comme Robert Stanfield, Joe Clark et Brian Mulroney. Les députés savent-ils pourquoi les conservateurs ne s’opposent pas au contenu canadien à la radio aujourd’hui? C’est parce qu’ils savent que les Canadiens aiment la musique et les artistes canadiens, et que le fait de s’attaquer à la musique canadienne serait mal accueilli, même par leurs électeurs.

Il est risible d’accuser le gouvernement de vouloir censurer Internet avec le projet de loi C-11. Je dirais même que c’est absurde. Les conservateurs génèrent ainsi des craintes non fondées, et cela inquiète les Canadiens, sans raison valable. Dire que quelqu’un peut censurer Internet aujourd’hui revient à dire que quelqu’un peut arrêter l’eau de tomber des chutes du Niagara. Le gouvernement a autant de chances de pouvoir censurer Internet que j’en ai de capturer de l’air avec ma main. Évitons les exagérations et les bouffonneries. Elles n’ont pas lieu d’être à la Chambre.

J’ai reçu un courriel d’un concitoyen qui s’oppose fermement au projet de loi C-11. Cette personne fait de toute évidence partie des destinataires de la liste de diffusion du Parti conservateur. Je l’ai déduit en voyant certains thèmes revenir dans son courriel. Je lui ai répondu pour lui exposer les faits au sujet du projet de loi, notamment pour lui indiquer les passages du projet de loi renvoyant aux droits garantis par la Charte. Je vais prendre quelques instants pour lire certains de ces droits garantis par la Charte.

Voici ce qui est énoncé très clairement dans le projet de loi:

10.‍1 Il est entendu que le Conseil prend des ordonnances en vertu du paragraphe 9.‍1(1) et des règlements en vertu du paragraphe 10(1) de manière compatible avec la liberté d’expression dont jouissent les utilisateurs des services de médias sociaux fournis par des entreprises en ligne.

C’est écrit ici noir sur blanc. C’est dans la loi.

Nous pouvons dire à l’opposition de ne pas s’en inquiéteret que toutes ces garanties sont prévues par la loi, mais ils ne le croiront pas. Ils continuent d’envoyer des courriels pour dire à leurs partisans que le gouvernement libéral essaie de censurer leur point de vue et d’influencer leur façon de penser à des fins politiques. Mais ces garanties sont dans la loi.

On peut lire la même chose au paragraphe 2(3) proposé, sous la rubrique « Interprétation »:

(3) L’interprétation et l’application de la présente loi doivent se faire d’une manière qui respecte : a) d’une part, la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion

Ce n’est même pas du jargon juridique. C’est extrêmement clair et même quelqu’un qui n’est pas juriste, comme moi, arrive à comprendre.

Lorsque j’ai répondu à la personne qui m’avait envoyé le courriel, j’ai également mentionné l’énoncé concernant la Charte qui doit accompagner tous les projets de loi présentés par le gouvernement, une exigence qui a été ajoutée par le gouvernement libéral actuel, comme le savent les députés. Avant 2015, cette exigence n’existait pas. Auparavant, lorsque le gouvernement présentait un projet de loi, les avocats du ministère de la Justice — qui ont la responsabilité professionnelle d’être intègres et de donner l’heure juste — n’avaient pas à présenter un énoncé indépendant concernant la Charte. Comme il n’y avait aucun énoncé indépendant concernant la Charte à l’époque, beaucoup de projets de loi présentés par le gouvernement Harper repoussaient vraiment les limites des droits garantis par la Charte.

J’ai répondu à la personne qui m’avait écrit que le projet de loi se voulait le prolongement des politiques mises en place depuis des décennies dans le but de soutenir la culture canadienne au sein d’un marché dominé par une industrie culturelle étrangère qui n’a pas comme priorité le contenu canadien, ce qui est normal. La personne m’a répondu que, s’ils ne peuvent survivre par eux-mêmes et qu’ils n’arrivent pas à être concurrentiels dans le marché culturel canadien, ces produits devraient être abandonnés et disparaître. Je me suis dit que c’était exactement le fond la pensée des conservateurs en ce qui a trait à la culture.

Le problème, avec cette vision des choses, c’est qu’elle se fonde sur une conception naïve du marché et de son fonctionnement dans le contexte actuel. C’est la croyance idéologique que le marché d’aujourd’hui est le même que celui d’Adam Smith: un marché de petite ville où il n’y a pas de déséquilibre de pouvoir entre les acheteurs et les vendeurs, et où aucun acheteur, vendeur ou petit groupe d’acheteurs ou de vendeurs ne fausse les transactions et ne les plie à ses intérêts financiers. Cependant, et je crois que les députés en conviendront, cette description n’est pas une description fidèle du marché d’aujourd’hui.

La vérité est que celui qui contrôle la distribution contrôle le marché. Il contrôle ce que le marché peut choisir et consommer. C’est la réalité sur le marché des biens et services, et c’est pourquoi, comme nous le savons, les banques veulent mettre la main sur les assurances. Elles veulent monopoliser ce marché et s’assurer qu’en plus de tout le reste, nous contractons aussi nos assurances auprès d’elles. Cette impulsion est normale de la part des acteurs du marché, mais le gouvernement a pour responsabilité de veiller à ce qu’il y ait des mesures en place pour prévenir cette tendance naturelle à dominer le marché.

Sur le marché de la culture, c’est le distributeur qui décide de ce que le public verra. C’est pourquoi nous avons travaillé avec un tel acharnement pour maintenir un système de radiodiffusion de propriété canadienne au Canada. Le but est de maintenir un système de distribution indépendant pour la programmation d’émissions nationales et locales. Si nous n’avions pas CTV, Global, CBC/Radio Canada et Télé-Québec, et si nous n’avions qu’ABC, CBS et NBC dans l’espace de diffusion canadien, aucune des émissions canadiennes populaires que nous avons appris à connaître et à aimer au fil des ans n’aurait jamais vu le jour. C’est aussi simple que cela.

Il convient de souligner que les services de diffusion en continu sont à la fois distributeurs et producteurs. Ils ont donc intérêt à mettre en valeur leur propre contenu. L’Internet et les services de diffusion en continu ne sont pas, par définition, des radiodiffuseurs traditionnels, mais ils n’en sont pas moins des distributeurs de produits culturels, et des produits puissants et omniprésents. Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne contribuent pas financièrement à la création de produits culturels canadiens. Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne paient pas leur juste part comme tout le monde.

Il est temps que les conservateurs embarquent pour défendre la culture et les créateurs canadiens et qu’ils arrêtent de dire aux Canadiens qu’une conspiration a lieu pour contrôler ce qu’ils voient, pensent et ressentent. Cette façon d’insister constamment est, à mon avis, une forme infâme de désinformation, et c’est pourquoi nous en sommes là, en ce jour où nous devons adopter le projet de loi. Le projet de loi a traversé deux législatures et le temps presse. La sphère culturelle avance à toute vitesse avec les nouvelles technologies et les nouveaux services de diffusion en continu qui sont partout et qui, bien sûr, fournissent le contenu culturel que nous aimons consommer. Tout ne sera pas canadien, mais nous devrions être en mesure de voir quelles sont les offres canadiennes.

 L’autre jour, quelqu’un m’a demandé si je pensais que cela signifie que le CRTC — grande force maléfique dans l’esprit des conservateurs — écrira des algorithmes pour Netflix et Crave TV et tous les autres services de diffusion en continu que nous avons. Le projet de loi, indique, noir sur blanc, à la page 14 que « L’alinéa (1)e) n’autorise pas le Conseil à prendre une ordonnance qui exige l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier. »

Pourquoi l’opposition n’est-elle pas franche en le mentionnant dans ses discours? C’est écrit noir sur blanc dans le projet de loi. L’opposition s’en moque. Même si cela figure dans le projet de loi, c’est comme si cela n’existait pas. Continuons avec les points de discussion qui se retrouvent probablement — je n’en sais suis pas certain, car je ne suis pas abonné — dans ces courriels à large diffusion qui circulent partout dans la cybersphère dans le cadre de la campagne à la direction du Parti conservateur.

C’est écrit noir sur blanc dans le projet de loi. Il est également écrit noir sur blanc que le projet de loi ne s’applique pas aux utilisateurs des réseaux sociaux. Je pense qu’il est temps de passer à autre chose. La culture canadienne a besoin d’être soutenue. Elle en avait besoin hier. Elle en a indéniablement besoin maintenant. Il est temps.

 

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