Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-5 (réforme de la determination de la peine)
14 juin 2022

Monsieur le Président, c’est un plaisir d’intervenir au sujet du projet de loi à l’étude.

Pendant la préparation de mon discours, j’ai repensé aux années 1990 et à mon arrivée à Ottawa en tant qu’adjoint législatif. C’était après les élections de 1993. Un grand vent de changement avait soufflé sur la Chambre. Le Bloc québécois formait l’opposition officielle, et le Parti réformiste était solidement représenté par une cinquantaine de députés. Je suivais la période des questions, car cela faisait partie de mon travail. Je ne voudrais pas donner dans la partisanerie, ce n’est pas le ton de mes propos, mais je me souviens que, pendant la période des questions, un député réformiste après l’autre posait des questions à propos de la justice pénale. Ils parlaient d’affaires précises et les décrivaient en détail. Le message de chacune de leurs questions était qu’on ne pouvait pas se fier aux tribunaux. Leurs questions avaient pour but de mettre en doute la crédibilité des tribunaux et de faire croire aux gens que les juges n’abordaient pas les dossiers en s’appuyant sur un cadre objectif, mais qu’ils laissaient plutôt leurs préjugés personnels guider leurs décisions. Cela m’apparaît très dangereux.

Je crois que notre culture politique s’oriente de plus en plus dans cette direction. C’est très malsain pour notre démocratie. J’observe de plus en plus les États‑Unis, où les gens commencent à voir les tribunaux comme un prolongement du système politique. Quand ce changement se produit, ils perdent tout simplement confiance envers la démocratie constitutionnelle.

J’ai lu un article dans un journal l’autre jour et j’ai été sidéré. La législature de l’État de l’Ohio a adopté une motion. Les députés ont voté selon les lignes de parti. Cette assemblée législative est à majorité républicaine. Les républicains ont voté pour, et les démocrates, contre. La motion proposait que le Canada soit placé sur la liste de surveillance des États qui suppriment la liberté de religion, sans tenir compte du fait que nous avons une démocratie constitutionnelle et que nous avons des tribunaux qui défendent les droits garantis par la Charte, et ainsi de suite. Je pense que c’est très dangereux. C’est une sorte de nouveau relativisme populiste et ce n’est pas sain pour la démocratie.

Je vais maintenant parler plus précisément du projet de loi.

Il y a certainement un préjugé inconscient dans la détermination de la peine. Ce préjugé fait partie intégrante des pratiques de longue date en matière de détermination de la peine. C’est intégré dans le système. Par exemple, selon Ivan Zinger, ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale, que j’ai eu la chance de rencontrer lorsque j’étais porte-parole de l’opposition en matière de sécurité publique, les femmes autochtones représentent maintenant la moitié de la population féminine dans les pénitenciers fédéraux, alors que seulement une femme sur 20 au Canada est autochtone. De même, le vérificateur général a récemment constaté que les prisonniers noirs et autochtones sont plus souvent placés dans des établissements à sécurité plus élevée à leur admission que les gens de race blanche, et qu’ils ne sont pas libérés sous condition aussi souvent que les autres lorsqu’ils y deviennent admissibles.

Personnellement, et ce n’est pas une déclaration partisane, je crois que l’approche du gouvernement Harper en matière de détermination de la peine a renforcé et aggravé ce préjugé. À l’époque où le gouvernement Harper présentait des projets de loi de répression de la criminalité les uns après les autres, à ma connaissance, ces projets de loi ne devaient pas être accompagnés d’un énoncé concernant la Charte comme c’est le cas aujourd’hui. Le gouvernement Harper a donc vraiment imposé des limites dans ce dossier. Voilà pourquoi tant de projets de loi invalidés par les tribunaux ont été adoptés entre 2006 et 2015. Je parle d’un document de plusieurs pages de la Bibliothèque du Parlement.

Cela dit, la détermination de la peine a été utilisée intentionnellement pour supprimer des groupes racialisés. À ma connaissance, ce n’est pas arrivé au Canada, mais cela peut arriver. Quelqu’un a dit à la Chambre que la même peine s’applique à tout le monde, indépendamment de la croyance, de la couleur ou autre, mais la détermination de la peine a été utilisée pour supprimer des groupes particuliers.

Je vais lire une citation. Comme je l’ai dit, je n’attribue rien à aucun politicien canadien que je connaisse, mais il est intéressant de voir que la détermination de la peine peut être utilisée délibérément. John Ehrlichman, conseiller et assistant de Richard Nixon et co-conspirateur du Watergate, a dit:

La campagne de Nixon en 1968 et l’administration Nixon par la suite avaient deux ennemis: la gauche pacifiste et les Noirs [...] Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être pacifiste ou noir, mais en incitant le public à associer les hippies à la marijuana et les Noirs à l’héroïne, puis en criminalisant lourdement les deux produits, nous pouvions casser ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, faire des descentes dans leurs maisons, mettre fin à leurs rassemblements et les diaboliser soir après soir au bulletin de nouvelles. Est-ce que nous savions que nous mentions à propos des drogues? Bien évidemment.

Évidemment, c’est un chapitre sombre de l’histoire des États‑Unis, une période où régnait une profonde division au sein de la société.

Qu’en est-il du projet de loi C‑5? Le but n’est pas d’être clément à l’égard des criminels. Le but est d’infliger des peines qui correspondent aux crimes et aux circonstances. Il s’inscrit dans un processus de réforme de la loi, un travail continu qui prend appui sur la sagesse en perpétuelle évolution. Le but est de remplacer une approche en matière de détermination de la peine qui s’est non seulement avérée discriminatoire, mais aussi très coûteuse et, dans certains cas, futile et inefficace.

Cette approche est coûteuse parce que les peines minimales engorgent les tribunaux. Il n’y a aucun incitatif à plaider coupable. Cette approche est inefficace parce qu’elle implique un plus grand recours au pouvoir discrétionnaire de poursuivre. À titre d’exemple, Doob, Webster et Gartner, de l’Université de Toronto et de l’Université d’Ottawa, ont conclu ce qui suit dans leur document de recherche:

Le 1er avril 1995, un référendum sur la détermination de la peine (mesure 11) demandé par les électeurs en Oregon a entraîné l’établissement de longues peines minimales obligatoires [...] On a constaté qu’il y avait eu une diminution des poursuites pour les cas visés par la mesure 11 et une augmentation des poursuites pour les autres cas (typiquement, des crimes semblables de moindre gravité qui ne conduisaient pas à une peine minimale obligatoire). Le nombre de procès pour les crimes visés par la mesure 11 a aussi augmenté au cours des deux premières années suivant son entrée en vigueur pour ensuite revenir à ce qu’il était. Toutefois, la nature des plaidoyers a changé: il y a eu une augmentation des cas où les accusés ont reconnu leur culpabilité pour des crimes de moindre gravité, et une diminution des cas où les accusés ont plaidé coupables à des accusations associées aux peines initiales.

Les peines minimales obligatoires sont futiles, puisqu’un grand nombre d’entre elles, créées pendant l’ère Harper, ont été invalidées par les tribunaux. Je viens d’ailleurs de mentionner un document de la Bibliothèque du Parlement à ce sujet. La politique adoptée à l’époque Harper était ce qu’on appelle l’approche des « peines dissuasives ». Je cite une fois de plus Doob, Webster et Gartner:

À ce stade-ci, il est juste de dire que nous ne connaissons aucun criminologue sérieux qui a examiné l’ensemble des recherches publiées sur les peines plus dissuasives et qui croit que l’on peut réduire le taux de criminalité par la dissuasion, en augmentant la sévérité des peines imposées par les tribunaux pénaux.

Il faut comprendre que les peines minimales obligatoires ne sont pas une vérité absolue. Elles ne proviennent pas directement de Moïse. Les gens qui militent pour des peines minimales sont guidés par une intuition acceptée mais erronée, qui s’appuie sur un raisonnement simple mais malheureusement trompeur, selon lequel plus la peine est sévère, plus son pouvoir de dissuasion sera fort. Rappelons, toutefois, que notre intuition fait souvent fausse route. C’est pourquoi nous investissons dans la recherche et l’analyse.

Même sans le bénéfice de la science, certains personnages du passé avaient une perspicacité surprenante. John A. Macdonald, le premier premier ministre du Canada, a dit: « La certitude d’être puni, et plus particulièrement la certitude que la sentence rendue par le juge sera exécutée, est plus utile pour prévenir les crimes que la sévérité de la peine. »

Les chercheurs Doob, Webster et Gartner ont écrit:

Nous soupçonnons que ce que Macdonald voulait dire par « la certitude que la sentence rendue par le juge sera exécutée », c’est simplement la certitude que le criminel sera puni. Cependant, peu importe ce que John A. Macdonald ait voulu dire, il ne pensait clairement pas que la « sévérité » des peines était très importante. Il avait presque certainement raison.

Les chercheurs ont aussi écrit, au sujet des suppositions concernant les peines minimales: « Un autre problème, c’est que les gens n’ont pas vraiment une idée claire des peines qui s’appliquent aux crimes ordinaires [...] La plupart des contrevenants ne correspondent pas aux critères de la “pensée”, c’est-à-dire la croyance qu’ils pourraient se faire prendre. »

Ces dernières années, beaucoup d’idées fausses et beaucoup de politiques ont été basées sur une sorte d’intuition. Nous savons que nos intuitions sont parfois bonnes, mais qu’elles peuvent parfois être extrêmement trompeuses.

Le projet de loi C-5 vise à réaffirmer la confiance dans notre système judiciaire, qui est fondamentale pour une saine démocratie constitutionnelle. Je sais que c’est quelque chose que tout le monde souhaite à la Chambre. Les conservateurs croyaient autrefois qu’il fallait respecter nos institutions parce qu’elles avaient évolué de façon naturelle et contenaient la sagesse héritée de nos ancêtres. Ces valeurs semblent appartenir à une époque révolue pour les conservateurs, il y a très longtemps, avant que le parti fasse un virage vers la politique d’extrême droite.

 

Bureau principal - Pointe-Claire
1, avenue Holiday 635, Tour est
Pointe-Claire, Quebec
H9R 5N3

Téléphone :
514-695-6661

Télécopieur :
514-695-3708
Afficher la carte

Bureau de la colline
Chambre des communes
Ottawa, Ontario
K1A 0A6

Téléphone :
613-995-8281

Télécopieur :
613-995-0528
Afficher la carte