Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-11 (Loi sur la diffusion continue en ligne)
27 mars 2023

Madame la Présidente, c’est un plaisir d’intervenir de nouveau sur cette mesure législative. J’ai parlé du projet de loi C‑10 au courant de la dernière législature et j’ai parlé du projet de loi C‑11 pendant celle-ci, et les amendements proposés par le Sénat me permet d’en reparler ce soir.

J’aimerais commencer par dire que les conservateurs se croient les experts de tout ce qui touche les marchés et le commerce, mais étrangement, le fonctionnement de ceux-ci semble leur échapper. Ils ne semblent comprendre ni les systèmes ni les réseaux de distribution et de commercialisation, pas plus que la convergence des intérêts — ceux de la grande entreprise — qui s’y opère.

Dans n’importe quel marché, les plus gros joueurs, parce que ce sont eux qui ont la plus grande puissance commerciale, peuvent contrôler la distribution des produits, qu’il s’agisse de biens matériels ou de produits culturels. Ils peuvent perturber les marchés en décidant ce à quoi les consommateurs auront accès. Que ces gros joueurs cherchent à assurer toujours plus leur mainmise sur le marché constitue l’une des lois immuables des marchés, aussi inévitable que la loi de la gravité elle-même. Les distributeurs, par exemple, cherchent souvent à produire eux-mêmes ce qu’ils distribuent. Dans le secteur culturel, ils veulent produire du contenu. C’est ce qui arrive avec les grands services de diffusion en continu comme Netflix et Amazon. Dans le cas d’Amazon, ce qui était au départ à peine plus qu’un service de commandes postales est devenu en plus un service de diffusion en continu qui fait de la publicité croisée, puisque les clients qui commandent un article sur Amazon se font systématiquement demander s’ils veulent s’abonner à Amazon Prime.

Les services de diffusion en continu ne font pas que distribuer du contenu: ils en produisent aussi de plus en plus. De toute évidence, il est dans leur intérêt que nous soyons tous bien exposés au contenu qu’ils produisent à grands frais. Ajoutons que des plateformes telles que Google et Meta profitent de leur monopole pour intimider des gouvernements dûment élus, un comportement que je considère comme inacceptable. Dans les faits, les conservateurs ne défendent pas les petits créateurs indépendants mais bien les grandes plateformes de diffusion en continu. Ils prennent le parti des costauds de la cour d’école. On est loin du libre marché entre des égaux qui négocient sur la place publique et trouvent un juste équilibre.

En ce qui concerne les algorithmes, le projet de loi est clair: le gouvernement ne peut pas imposer d’algorithmes aux plateformes de diffusion en continu, un point c’est tout. Ce dossier est clos; il n’a d’ailleurs jamais été ouvert. Comme le dit le paragraphe 9.1(8) du projet de loi, « L’alinéa (1)e) n’autorise pas le Conseil à prendre une ordonnance qui exige l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier ». C’est écrit noir sur blanc dans le projet de loi depuis le début, mais cela n’empêche pas les députés d’en face de répéter que le gouvernement cherche à contrôler les algorithmes d’une manière quelconque. Quand des députés présentent ce qui est dit dans un projet de loi comme de fausses nouvelles, j’y sens de forts relents de trumpisme. Ce ne sont pas de fausses nouvelles: ce sont des faits, écrits noir sur blanc dans une mesure législative.

En outre, l’opposition officielle part du principe que les algorithmes des médias sociaux sont synonymes de liberté, sauf que les algorithmes ne sont pas gages de liberté. Ils peuvent être des carcans, des carcans pour l’esprit. Ils peuvent être des œillères. Nous savons qu’ils peuvent enfermer les gens dans des chambres d’écho qui amplifient leurs propres préjugés idéologiques. Les algorithmes des médias sociaux ne sont pas nécessairement conçus pour élargir les horizons d’une personne. Au contraire, ils peuvent être conçus pour réduire le champ de vision. Ils sont myopes et ils peuvent être utilisés pour promouvoir des intérêts économiques et politiques précis. Les algorithmes peuvent renforcer les préjugés et, dans certains cas, donner un coup de fouet à la désinformation.

Prenons l’exemple de la radio. Le cas de la radio des années 1970, lorsque la notion de contenu canadien a été introduite par un gouvernement libéral, n’est pas si différent de celui de la diffusion en continu aujourd’hui, même si les conservateurs essaient de nous faire croire que cela n’a rien à voir et qu’on ne peut pas les comparer. Nous pouvons superposer la position des conservateurs à la radio des années 1970 et voir ce qui se serait passé si leur argument — leur idéologie — avait été appliqué à la musique diffusée à la radio.

L’opposition affirme que les dispositions du projet de loi C‑11 en matière de découvrabilité ne peuvent pas être comparées au contenu canadien, que c’est le jour et la nuit, qu’on mêle les pommes et les oranges. Ils affirment que nous avions besoin du contenu canadien à l’époque vu la nature limitée des fréquences radio, mais que cette solution n’est plus nécessaire parce que le Web n’a pas de limites et que les possibilités de se faire entendre sont infinies.

En ce qui a trait au Web, je suis d’accord. On y trouve une multitude de voix, fortes et moins fortes, qui forment un océan infini de contenu, et c’est là que le discours conservateur se contredit. Comment serait-il possible pour un gouvernement, ou quiconque d’ailleurs, de censurer un océan infini comme le Web? Parler de censure à l’ère du cyberespace est un oxymore, à moins d’être en Corée du Nord, là où les conservateurs semblent croire que nous vivons. Le problème, de nos jours, ce n’est pas la censure, mais plutôt la désinformation amplifiée par des robots et des algorithmes.

Revenons à la radio et au contenu canadien. Nous avions alors besoin de règles sur le contenu canadien pour combattre un puissant système de distribution qui était centré sur les États-Unis et dont les intérêts financiers n’étaient pas nécessairement alignés à ceux des créateurs de musique canadiens. Sans ces règles, les stations de radio n’auraient joué que la musique fournie par des maisons de disques multinationales ayant intérêt à promouvoir les artistes dans lesquels ils ont investi. Comment les stations de radio auraient-elles choisi quelles chansons jouer parmi toutes celles qui leur étaient fournies? Elles auraient créé des listes de lecture à partir des demandes des auditeurs, ces demandes prenant leur inspiration dans la musique fournie par les maisons de disque et jouant à la radio, ainsi qu’à partir des ventes de disques dans des boutiques aussi approvisionnées par les mêmes maisons de disques étrangères.

En un sens, sans les exigences de contenu canadien , qui sont un peu une façon de favoriser la découvrabilité, l’algorithme par défaut régissant l’industrie musicale à la radio n’aurait laissé que peu de place à notre excellente musique canadienne.

Enfin, les conservateurs affirment que si la culture canadienne ne peut s’imposer d’elle-même, sans aucune forme de soutien gouvernemental, elle doit être soumise au jugement du marché. Ils semblent considérer la culture canadienne comme une nouvelle automobile.

Si les conservateurs sont si farouchement opposés à l’intervention de l’État et au soutien de la culture, demandent-ils que nous éliminions Téléfilm et le Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, qui soutiennent les films canadiens, dont beaucoup sont primés? Je pense que c’est l’une des questions qu’il faut se poser ici.

 

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