Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-48 (réforme des liberations sous caution)
18 septembre 2023

Madame la Présidente, je suis heureux de prendre la parole en ce premier jour de la reprise des travaux parlementaires.

Je commencerais par dire que le rôle du débat est de séparer le bon grain de l’ivraie, d’utiliser notre expérience, notre intelligence, notre discrétion et notre perspicacité pour cerner ce qui se passe vraiment, par opposition à ce que nous pensons qui se passe et qui peut être influencé par l’empressement à formuler des hypothèses faciles et divers préjugés personnels et sociétaux, et ainsi de suite.

Le but d’un débat intelligent et éclairé, c’est-à-dire d’un discours démocratique raisonné, est d’éviter le genre de populisme qui fait appel à la simple intuition ou, pour utiliser la nouvelle expression fétiche des conservateurs, au gros bon sens. Le gros bon sens a l’air tellement beau. Qui pourrait s’y opposer? Le gros bon sens est un slogan trompeur, mais il y a une différence entre le gros bon sens et le bon sens.

On me permettra de faire la distinction entre le bon sens, d’une part, et le gros bon sens, de l’autre. Un bon sens réfléchi, nuancé, ancré dans les faits et dans l’analyse rigoureuse est une bonne chose, une excellente affaire. En revanche, ce qu’on appelle le gros bon sens peut être à la fois réductionniste et simpliste, une affaire populiste faite pour attirer les gens vers des solutions faciles qui cachent derrière elles une idéologie étroite et des intérêts politiques bien établis.

Le « gros bon sens » est une expression accrocheuse qui cherche à simplifier à outrance les choses et à obtenir l’adhésion du public pour des solutions simples à des problèmes complexes. Or, de telles solutions ne sont pas toujours les meilleures, mais elles servent un programme idéologique comme la réduction des coûts ou des mesures de protection environnementales. Je crois en la sagesse collective qui propose des notions éprouvées au fil du temps, comme la différence entre le bien et le mal, la nécessité de faire preuve de prudence face à un changement trop rapide ou la valeur de la préservation de l’ordre dans la société. Cependant, la sagesse collective séculaire ne peut pas toujours nous guider dans la gestion des questions complexes sur les plans technique et juridique de la politique publique contemporaine. Le prétendu gros bon sens peut se retrouver à côté de la plaque.

On peut faire fausse route en s’appuyant trop sur le soi-disant gros bon sens. En fait, on peut se retrouver dans le fossé.

En ce qui concerne la réforme du système de mise en liberté sous caution, l’approche sensée des conservateurs semble reposer sur l’idée selon laquelle une personne appréhendée et accusée d’un crime est présumée coupable et devrait donc rester en prison en attendant son procès. Heureusement, dans notre système de justice, qui s’appuie sur toute la sagesse et la raison accumulées pendant des siècles, l’accusé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.

Les conservateurs au sens traditionnel du terme sont censés avoir foi dans la sagesse accumulée et dans l’évolution naturelle de la pensée, des lois et des institutions au lieu de promouvoir des solutions réactives. Or, le système de mise en liberté sous caution du Canada est un produit de la common law anglaise, qui date de plusieurs centaines d’années.

J’aimerais dire très clairement que même un seul cas de meurtre commis par une personne qui n’aurait pas dû être mis en liberté sous caution est un cas de trop. C’est une situation tragique que nous ne devrions pas tolérer. Tout le monde dans cette enceinte en convient. Cependant, soutenir, comme le fait l’opposition au quotidien, que les rues sont envahies par des meurtriers à cause d’un système de justice qui accorde des mises en liberté sous caution de façon automatique est, selon moi, de la démagogie.

Comment le système de mise en liberté sous caution fonctionne-t-il, comparativement à la version tronquée de l’opposition? En fait, il revient aux policiers et aux procureurs des provinces de présenter des arguments contre la mise en liberté sous caution du détenu. Autrement dit, il incombe à l’État de justifier la détention d’un accusé qui est en attente d’un procès et qui n’a pas encore été déclaré coupable. Toutefois — et c’est une chose qui n’est pas généralement comprise —, lorsqu’il s’agit d’une accusation de meurtre ou d’autres infractions particulières, le fardeau de la preuve est inversé. L’accusé doit convaincre la cour qu’il devrait être libéré dans l’attente de son procès.

En 2019, le Parlement a adopté le projet de loi C‑75, qui étendait l’inversion du fardeau de la preuve aux récidivistes accusés d’une infraction contre un partenaire intime, ou ce qu’on appelle la violence entre partenaires intimes. Encore une fois, beaucoup de personnes à l’écoute ne le savent pas. Le fardeau de la preuve incombe également à l’accusé dans le cas de certaines infractions liées aux armes à feu, y compris le trafic d’armes, la possession d’armes dans le but d’en faire le trafic, l’importation ou l’exportation illégale d’une arme, décharger une arme à feu avec une intention particulière, décharger une arme à feu avec insouciance, et des infractions suivantes, lorsqu’elles sont commises avec une arme à feu: tentative de meurtre, agression sexuelle, agression sexuelle grave, enlèvement, prise d’otage, vol qualifié et extorsion. On est loin de la porte tournante. Qui plus est, la loi actuelle prévoit clairement que la détention sans cautionnement est justifiée lorsqu’un juge la considère comme nécessaire pour assurer la sécurité du public.

Quand un accusé obtient une mise en liberté sous caution, il doit typiquement avoir une caution, c’est-à-dire une ou plusieurs personnes qui s’engagent à superviser son comportement et à payer une certaine somme s’il ne respecte pas les conditions de la mise en liberté. Les demandes de mise en liberté sous caution peuvent être refusées pour plusieurs raisons, par exemple parce que l’accusé a un casier judiciaire ou qu’il n’a pas respecté les conditions d’une mise en liberté sous caution antérieure; si on considère, comme je l’ai mentionné, qu’il pose un risque pour la population; ou s’il n’a pas de caution ou aucun endroit où vivre, un problème qui touche surtout les membres de groupes défavorisés.

Voici un chiffre qui surprendra beaucoup de gens qui écoutent le débat d’aujourd’hui: en 2020, 77 % des personnes qui se trouvaient dans les prisons de l’Ontario y étaient en attente de leur procès. Autrement dit, contrairement à une affirmation populiste des conservateurs, le Canada n’est pas un pays indulgent. Comme le dit la professeure Nicole Myers, de l’Université Queen’s, « depuis 2004, il y a dans les prisons provinciales plus de gens en attente de leur procès que de gens qui purgent une peine ».

Cela dit, il faut réformer le système de mise en liberté sous caution, et les réformes sont tout à fait dans la nature des libéraux.

Comment protéger le public tout en préservant le principe fondamental de notre système de justice pénale, soit: « innocent jusqu’à preuve du contraire »? La réponse réside dans le projet de loi C‑48. Ce projet de loi inverserait le fardeau de la preuve pour une personne accusée d’une infraction grave perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence et avec une arme — comme un couteau — si cette personne a déjà été condamnée pour une infraction au cours des cinq années précédentes. C’est logique, car une condamnation antérieure est un facteur de risque. Une infraction grave serait définie comme une infraction passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans, comme des voies de fait causant des lésions corporelles ou une agression armée.

Le projet de loi élargit aussi la liste des infractions commises avec des armes à feu entraînant l’inversion du fardeau de la preuve. Ces infractions comprennent la possession illégale d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée ou prête à l’être, l’introduction par effraction pour voler une arme à feu, le vol qualifié visant une arme à feu et la fabrication d’une arme à feu automatique. En ce moment, il y a inversion du fardeau de la preuve lorsque la personne enfreint une ordonnance d’interdiction de port d’arme. Le projet de loi ferait en sorte d’inclure également les ordonnances d’interdiction imposées lors de la mise en liberté sous caution.

Le projet de loi C‑48 étendrait aussi l’inversion du fardeau de la preuve relative aux récidivistes d’actes de violence entre partenaires intimes ayant déjà été absous en vertu de l’article 730 du Code criminel, autrement dit lorsque l’infraction ne figure plus dans le casier judiciaire.

Enfin, le projet de loi C‑48 exigerait que les tribunaux prennent en compte les antécédents de violence de l’accusé ainsi que les préoccupations relatives à la sécurité de la collectivité. Le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, Thomas Carrique, a récemment déclaré au Globe and Mail que les modifications législatives proposées dans le projet de loi C‑48 contribueraient grandement à prévenir les méfaits et les tragédies insensées dans nos communautés.

Nous devons garder à l’esprit que les Autochtones se voient plus souvent refuser la mise en liberté sous caution que les membres d’autres groupes. Par ailleurs, en Ontario, les Noirs sont maintenus plus longtemps que les Blancs en détention provisoire en attendant leur procès, et ce, pour des infractions identiques. Cela s’explique par le fait que les tribunaux basent leurs décisions sur les rapports de police, qui peuvent avoir été influencés par des préjugés raciaux. En outre, les membres de groupes défavorisés ont plus souvent de la difficulté à trouver de l’argent pour payer leur caution. Enfin, il convient de noter que plus longtemps un individu est maintenu en détention sans possibilité de mise en liberté sous caution, plus grande est la probabilité qu’il se résigne à négocier un plaidoyer ou même à présenter un plaidoyer de culpabilité en dépit d’une défense viable. Dans un cas comme dans l’autre, le principe de justice est compromis.

En vertu de la Charte des droits et libertés, toute personne accusée d’une infraction a le droit d’être libérée sous caution, à moins qu’il n’y ait une raison impérieuse de la maintenir en détention. Il s’agit d’un droit constitutionnel au Canada, que les conservateurs le veuillent ou non.

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