Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-317 (stratégie nationale sur la prévision des inondations et des sécheresses)
24 novembre 2023

Monsieur le Président, je crois qu’un des principaux rôles d’un législateur, en particulier lorsque la société est confrontée à une foule de défis dont un bon nombre ne peuvent être résolus qu’à l’aide de la science, consiste à agir comme courroie de transmission afin que le savoir scientifique des universités, des organismes de recherche et des ministères se retrouve dans des politiques publiques réalisables. C’est là l’objet du projet de loi C‑317.

Avant de me pencher sur le projet de loi, j’aimerais féliciter et remercier M. John Pomeroy, directeur du programme Global Water Futures de l’Université de la Saskatchewan et M. Alain Pietroniro, titulaire de la chaire de recherche sur les réseaux hydrographiques durables dans un climat en mutation de l’école Schulich de l’Université de Calgary. Ils m’ont tous les deux patiemment initié au b.a. ba de la prévision des inondations et des sécheresses afin de me permettre de parler aujourd’hui de la création d’une stratégie nationale sur la prévision des inondations et des sécheresses de manière convaincante, je l’espère.

L’eau douce est l’un de ces enjeux stratégiques complexes qui requièrent une attention politique urgente. Tout d’abord, je tiens à dire clairement que le projet de loi C‑317 n’a pas pour but d’empiéter sur les compétences provinciales. Ce n’est pas un cheval de Troie, pas plus que ne l’est l’Agence canadienne de l’eau, laquelle servira de plateforme de coopération pour une meilleure gestion de nos ressources hydriques.

Ce serait faire preuve de prétention politique, pour ne pas dire de pure folie, que de penser que le gouvernement fédéral pourrait gérer l’eau douce, une ressource provinciale, de manière centralisée et hiérarchique. Cela dit, nous avons besoin de tous les joueurs si nous voulons gérer et protéger correctement cette ressource vitale que le Canada a la chance de posséder en si grande abondance dans ses rivières et ses lacs, dans sa couverture de glace et dans ses sols.

J’implore les députés de ne pas s’opposer à ce projet de loi pour des raisons politiques ou idéologiques. L’eau, en particulier lorsqu’il s’agit d’inondations, est un enjeu stratégique bien trop important qui devrait demeurer non partisan. Le projet de loi C‑317, s’il est adopté, contribuerait à mieux protéger les collectivités d’un océan à l’autre au Canada, y compris au Québec, contre les effets dévastateurs des inondations et les coûts faramineux qui y sont associés. Ma propre circonscription, Lac-Saint-Louis, qui est située au Québec, ainsi que les circonscriptions voisines et plus en amont ont été touchées par des inondations coûteuses pas plus tard qu’en 2017 et 2019. J’ai vu de mes propres yeux les dégâts et la souffrance que les inondations peuvent causer.

Par l’entremise de ce projet de loi, je propose que l’on mette au point une stratégie nationale de prévision des inondations et des sécheresses. Je mets l’accent ici sur le mot « nationale », à l’opposé du mot « fédérale », une distinction cruciale.

L’eau est un enjeu beaucoup trop vaste et complexe pour que le gouvernement fédéral puisse s’en charger et en prendre la responsabilité exclusive. Ceci serait vrai, même si la Constitution, par miracle, accordait au fédéral la compétence complète sur l’eau, ce qui n’est évidemment pas le cas. La centralisation n’est tout simplement pas de mise dans ce dossier.

Le gouvernement fédéral reconnaît d’emblée ce fait, à travers ses paroles et ses gestes. L’entente d’équivalence que le gouvernement fédéral a conclue avec le Québec sur la réglementation des effluents d’eaux usées est un bel exemple de cette volonté de collaborer, même lorsqu’il s’agit d’un pouvoir, notamment en vertu de la Loi sur les pêches, qui relève carrément du fédéral.

Cela étant dit, lorsqu’on parle d’eau ou d’autres enjeux environnementaux, l’acquisition des connaissances, la poursuite de la recherche, le partage des meilleures pratiques pour arriver à de meilleures solutions, ce sont là des choses à caractère international qui exigent une collaboration qui dépasse les frontières. Il n’y a rien dans ce projet de loi qui remet en question le respect des compétences, notamment la responsabilité provinciale en matière d’eau. Si les pays de l’Union européenne peuvent se permettre de collaborer sur une politique commune de l’eau, c’est-à-dire la politique européenne de l’eau, pourquoi pas les régions du Canada?

L’état de nos ressources hydriques est de plus en plus lié aux changements climatiques. En fait, l’eau est le canari dans la mine, le signe avant-coureur. Je me permets de citer un expert des plus respectés en matière de politique de l’eau, M. Jim Bruce.

Il a déclaré: « Comme un poisson qui ne remarque le requin qu’une fois qu’il en ressent la morsure, les humains ressentiront d’abord les effets des changements climatiques par l’eau. » Autrement dit, comme le dit le gourou de la gestion de l’eau, Bob Sandford, dans son livre intitulé Flood Forecast: Climate Risk and Resiliency in Canada, l’eau est un miroir du climat. Il a écrit: « Si nous observons ce qui se passe avec l’eau, nous saurons ce qui se passe avec le climat. » C’est-à-dire que nous ressentons les changements climatiques à travers l’eau.

J’aimerais maintenant dire que, même si l’objet du projet de loi C‑317 est la prévision des inondations et des sécheresses, je parlerai plus d’inondations dans ce débat.

Selon les Nations unies, les inondations sont le risque naturel le plus courant dans le monde. En raison des dommages qu’elles causent, les inondations sont reconnues comme la catastrophe naturelle la plus meurtrière après le tremblement de terre et le tsunami.

Pour citer les propos tenus par Zahmatkesh et coll. dans un article intitulé « An overview of river flood forecasting procedures in Canadian watersheds », publié dans la Revue canadienne des ressources hydriques: « Au Canada, les inondations sont connues comme étant les catastrophes naturelles les plus courantes, les plus répandues et les plus coûteuses qui menacent les vies, les propriétés, l’économie, les infrastructures et l’environnement. »

Il va sans dire que les inondations nuisent à l’économie. Selon la Bibliothèque du Parlement, un document du Bureau d’assurance du Canada indique que les grandes catastrophes naturelles ont des effets négatifs sur la conjoncture économique. Un désastre typique réduit la croissance économique d’environ un point de pourcentage et le PIB d’environ 2 %.

Les inondations causent des dommages non seulement physiques, mais aussi émotionnels et psychologiques. Je cite les comptes rendus du symposium de 1998 sur le déluge du Saguenay:

Certains auteurs ont noté une augmentation de symptômes dépressifs et somatiques, la présence de détresse émotionnelle et une hausse de l’anxiété [liés aux inondations]. Certaines victimes d’inondations [...] ont présenté, 14 ans après l’événement, des désordres psychologiques divers: phobies, troubles de panique, agoraphobie.

J’ai constaté les dégâts. J’ai visité des zones inondées de ma circonscription avec Jim Beis, le maire de l’arrondissement Pierrefonds‑Roxboro, à Montréal, qui s’attaque de front aux risques d’inondation locaux depuis des années, grâce à de solides préparatifs annuels en vue des inondations printanières. Il a travaillé sans relâche pour renforcer la résilience de la collectivité face aux inondations, souvent sans attendre que l’administration municipale centrale agisse pour protéger ses concitoyens, dont bon nombre sont aussi mes concitoyens.

Je vais maintenant donner un aperçu des inondations majeures qui se sont produites récemment au Canada. En 1996, selon le rapport du Symposium sur le déluge du Saguenay de 1998:

Plus de 16 000 personnes ont été évacuées et 7 000 familles ont vu leur maison ou leur quartier subir des dommages [pendant le déluge].

En tout, 20 % des victimes de la catastrophe ont souffert de stress post-traumatique et le déluge « a entraîné des séquelles psychologiques qui étaient mesurables après trois mois ».

Ces inondations auraient, semble-t-il, conscientisé le premier ministre du Québec de l’époque, Lucien Bouchard, à la réalité des changements climatiques et aux effets destructeurs qui peuvent en découler.

En 2017, puis de nouveau en 2019, le corridor Ottawa—Montréal a connu des inondations extrêmes. Selon le Bureau d’assurance du Canada, les inondations du printemps 2019 au Québec ont coûté 127 millions de dollars en dommages assurés.

Voilà qui m’amène à parler de 2013, en Alberta. Je reprends de nouveau les propos de Robert Sandford, dans son livre intitulé Flood Forecast: Climate Risk and Resiliency in Canada:

Après s’être agglutinées, 3 cellules orageuses sont restées pendant 3 jours dans la même région où elles ont déversé de 250 à 270 millimètres de pluie sur les terres plus au nord, soit quelque 9 millions de mètres cubes de pluie qui ont transformé soudainement des ruisseaux de montagne en torrents déchaînés. Cette année-là, la fonte des neiges a été tardive et, à la fin juin, le manteau neigeux était plus volumineux que la normale, une situation qui n’a pas été prise en compte dans le système ou le modèle de prévision des inondations de la province. Le système de prédiction des inondations de la province a échoué lamentablement, et à bien des endroits, les avertissements d’inondation ont été émis après les ordres d’évacuation. Cependant, l’inefficacité et l’échec du système de prévision des inondations du ministère de l’Environnement de l’Alberta ne devraient pas être attribués aux compétences ou aux connaissances des spécialistes des prévisions météorologiques, mais plutôt à des problèmes systémiques liés à des réductions des effectifs, au recours à des outils de prévision désuets et à une surveillance sur le terrain inadéquate.

L’inondation a causé des dommages de 5 milliards de dollars.

En Colombie-Britannique, en 2021, certaines régions du Sud de la province ont enregistré des épisodes de pluie qui surviennent environ 1 fois tous les 50 à 100 ans, déclenchés par une rivière atmosphérique, qui ont causé l’équivalent d’environ un mois de précipitations en quelques heures. Les dommages causés par les inondations ont totalisé 9 milliards de dollars.

Il va sans dire que les dommages causés par les inondations devraient augmenter de manière exponentielle avec les changements climatiques. Selon un rapport produit par des consultants de GHD, intitulé « Aquanomics: Économie des risques liés à l’eau et résilience pour l’avenir », « les sécheresses, les inondations et les tempêtes pourraient réduire de 5,6 T$ US le PIB des principales économies mondiales, certaines étant plus touchées que d’autres ».

Au Canada, « les sécheresses, les inondations et les tempêtes pourraient entraîner une perte totale de 108 G$ du PIB canadien entre 2022 et 2050, ce qui représente une moyenne de 0,2 % du PIB par an ». Les pertes de production au Canada uniquement dans les secteurs de la fabrication et de la distribution entre 2022 et 2050 pourraient atteindre un total de 50 milliards de dollars. On ne peut qu’imaginer l’impact sur l’inflation du nombre croissant d’inondations de plus en plus dévastatrices.

La prévision des inondations est une tâche complexe qui repose sur deux éléments clés: les prévisions météorologiques et la modélisation hydrologique, qui permet de traduire les prévisions météorologiques en prévisions de débit et de niveau d’eau. Pour obtenir des prévisions d’inondations exactes, il faut également connaître les caractéristiques des bassins versants, qui influencent le débit de l’eau. Il est facile de voir que l’exactitude des prévisions d’inondations dépend de grandes quantités de données provenant de sources multiples et de la capacité de créer de vastes modèles granulaires dans lesquels saisir les données. Comme les prévisions d’inondations couvrent des zones de plus en plus vastes et tiennent compte d’un nombre croissant de facteurs dans un contexte climatique incertain, il faut une puissance de traitement de plus en plus grande pour traiter les données et produire une série de scénarios probabilistes, ce qui se traduit par une dépendance croissante aux superordinateurs.

Selon des scientifiques, « le Canada est le seul pays du G7, et peut-être le seul pays développé, sans système national de prévision des inondations ». Au Canada, on considère généralement que la prévision des inondations est une compétence provinciale, assumée par la plupart des 13 gouvernements provinciaux et territoriaux, diverses municipalités d’un bout à l’autre du pays et environ 99  offices de protection de la nature de l’Ontario. Toutefois, cette approche comporte des désavantages. Le principal est le manque d’intégration avec les prévisions météorologiques, ainsi que la capacité de prévision inégale d’une province à l’autre. Cette approche fragmentée peut mener à une adoption lente des nouvelles technologies et méthodes de pointe, et à l’absence de coordination technique avec des organismes comme Service météorologique du Canada.

La plupart des administrations canadiennes ne disposent pas de capacité de modélisation moderne de prévision des inondations. Même les systèmes les plus sophistiqués utilisent des logiciels désuets et se limitent aux grandes rivières. La fragmentation peut également s’avérer problématique dans le cas des bassins transfrontaliers, lorsque les systèmes de chaque province et territoire, ou entre les provinces et territoires et les États‑Unis, ne sont pas toujours compatibles. Plusieurs provinces et territoires ont encore du mal à répondre à leurs besoins en matière de prévision en raison de ressources humaines ou de compétences limitées. Le système décentralisé canadien présente toutefois des avantages. Il permet aux provinces d’être des laboratoires où l’on teste des approches uniques et novatrices qui, une fois qu’elles ont fait leurs preuves, peuvent être adoptées par d’autres provinces. L’avantage de cette approche fragmentée de la prévision des inondations, c’est qu’elle permet de développer des systèmes de prévision des inondations sur mesure, qui sont spécialement conçus pour fonctionner à l’échelle régionale et relever des défis hydrologiques locaux uniques.

Je pourrais donner beaucoup plus de détails techniques sur ce que le projet de loi permettrait de faire, et j’espère que je pourrai parler de ces aspects dans de futurs discours à la Chambre, mais aussi lors des délibérations de comité, si le projet de loi se rend jusque là.

En conclusion, l’avantage d’une stratégie nationale de prévision, c’est qu’elle permet d’utiliser des modèles de meilleure qualité pour faire des prévisions plus précises à grande échelle et à plus long terme que lorsqu’on emploie seulement des modèles de prévisions locales. Il est essentiel de pouvoir jumeler les modèles nationaux aux mesures de prévisions locales pour faire des prévisions précises sur les inondations et renforcer les capacités à long terme. Les modélisateurs nationaux acquièrent constamment de l’expérience en se basant sur les inondations qui se produisent dans les différentes régions du pays. Un modélisateur national pourrait très bien prévoir une inondation presque tous les ans. En revanche, les modélisateurs locaux pourraient ne jamais prévoir une seule inondation tout au long de leur carrière. Travailler avec les modélisateurs nationaux facilite la transmission des connaissances de manière à renforcer l’ensemble du système.

Ce projet de loi vise à établir une structure de collaboration officielle entre les intervenants régionaux, les scientifiques et les prévisionnistes, et je crois que c’est ce que souhaitent tous ces intervenants. À l’heure actuelle, il leur arrive de se rencontrer de façon informelle pour mettre en commun leurs pratiques exemplaires, mais il faut mettre en place une structure plus permanente pour qu’ils puissent unir leurs efforts et mieux prévoir les inondations dans l’intérêt de tous les Canadiens.

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