Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : assemblée citoyenne et réforme électorale
02 février 2024

Monsieur le Président, il y a un éléphant dans la pièce et il y a une souris, mais on parle effectivement de la même chose. L’éléphant, c’est ce désir de certains de voir une refonte du système électoral au Canada vers un système dit proportionnel. Ce qui se passe, c’est que l’éléphant tente de se cacher en se déguisant en souris pour passer inaperçu.

Dans les faits, on tente, au moyen de cette motion, de laisser la porte entrouverte dans un dossier qui a connu un échec il y a environ six ans, en raison d’une divergence d’opinions entre les partis à la Chambre à propos du système qui devrait remplacer le système majoritaire uninominal actuel et en raison également d’un manque d’intérêt au sein de la population canadienne pour une telle réforme. Je m’explique.

En 2016, le premier ministre m’a demandé de présider le Comité spécial sur la réforme électorale, qui avait pour mandat d’étudier la question en long et en large. C’est une des raisons pour lesquelles je me sens interpelé par le débat aujourd’hui. Le Comité a tenu une série d’audiences à Ottawa pour ensuite prendre la route afin de rencontrer les Canadiens et les Canadiennes là où ils habitent.

Nous avons parcouru le pays, atterrissant dans chaque province et chaque territoire. En tout, nous sommes passés par 18 villes en trois semaines, en nous déplaçant chaque matin vers une nouvelle ville pour tenir des audiences l’après-midi et en soirée pour ensuite reprendre la route, encore une fois, le lendemain matin. Malheureusement, disons que les salles n’étaient pas toujours pleines à craquer. À certains moments, nous entendions des témoignages enthousiastes, voire passionnés, en faveur d’une réforme. À d’autres, des intervenants lisaient des textes préparés et quasiment identiques, preuve d’une campagne bien coordonnée derrière le rideau. À Victoria, la salle était comble. À Québec, la participation était plutôt faible.

J’ai pu renouer avec certains anciens collègues néo-démocrates venus de toute évidence présenter des mémoires en faveur de la représentation proportionnelle afin d’épauler la position officielle de leur parti.

Le Comité a fait un travail remarquable. J’aimerais profiter de l’occasion pour féliciter tous ses membres, entre autres les députés de Saanich—Gulf Islands, de Montcalm, de Joliette et de Skeena—Bulkley Valley, maintenant ministre en Colombie‑Britannique, qui ont travaillé avec ardeur et rigueur.

Nous avons produit un rapport exceptionnel qui se veut en quelque sorte la bible en matière de systèmes électoraux parmi lesquels une démocratie peut choisir selon sa culture politique. Le rapport sert même aujourd’hui de manuel scolaire dans les cours de sciences politiques.

Il y a deux semaines, j’étais à l’Université Concordia, où j’ai été accueilli par le professeur Dónal Gill, un passionné de la réforme électorale. Il m’a dit qu’il utilisait le rapport du Comité dans ses cours.

Malheureusement, le comité n’a pas pu se mettre d’accord sur une formule pouvant remplacer le système uninominal majoritaire à un tour actuel. Les conservateurs ont préféré le statu quo. Le NPD et les Verts voulaient un système de représentation proportionnelle. Les libéraux ont toujours été favorables au scrutin préférentiel.

Une question pratique s’est posée: toute réforme majeure du mode de scrutin nécessiterait absolument un référendum national. Je dis à la blague que, si on aime vraiment ce pays, on ne souhaite pas un référendum national. En effet, quand on a vécu deux référendums québécois, on a développé une franche aversion pour les plébiscites sur des questions existentielles. Dans un pays aussi vaste que le Canada, qui compte une grande diversité de perspectives régionales profondément ancrées, un référendum à l’échelle nationale sur une question aussi fondamentale ne peut que conduire à des résultats clivants qui remettraient encore plus en cause l’unité nationale. Non, merci.

De plus, un référendum national exigerait du gouvernement qu’il se concentre sur une seule question, alors que tant de problèmes urgents et importants pour les Canadiens abondent et exigent son attention. Il ne faut pas oublier qu’au moment où le comité a publié son rapport, un événement majeur monopolisait soudainement les énergies du gouvernement: l’élection de Donald Trump, qui était déterminé à déchirer l’ALENA. Il y a des priorités à respecter.

Le problème de notre régime politique, à mon humble avis, n’est pas le mode de scrutin. Par conséquent, le modifier ne conduira pas à la renaissance démocratique espérée.

En outre, la représentation proportionnelle n’est pas la panacée pour tous les maux de notre régime politique. Le vrai problème tient au triste état du discours politique. En effet, nous perdons la capacité de dialoguer et d’argumenter les uns avec les autres, parce que nous ne parvenons pas à convenir qu’un fait est un fait et parce que nous accueillons les opinions des gens seulement si elles coïncident avec les nôtres sur le plan idéologique. Or, que l’on trouve quelqu’un sympathique ou non ne devrait pas avoir d’importance lorsqu’il s’agit de reconnaître la valeur de son expérience ou le bien-fondé de son argumentation.

C’est la tragédie de notre politique actuelle, et je ne suis pas sûr que la dispersion des voix au Parlement que pourrait entraîner la représentation proportionnelle soit la solution que nous recherchions. La politique non sectaire qui a prospéré dans notre système actuel, un système qui exige des compromis, a ses avantages.

Enfin, je ne crois pas que la représentation proportionnelle soit la solution au faible taux de participation électorale, en particulier celle des jeunes. La génération du millénaire peut toujours s’enthousiasmer pour un candidat et aller voter en grand nombre, quel que soit le système électoral. Nous l’avons vu en 2015. Je pense plutôt que la faible participation électorale est le produit d’une culture de plus en plus individualiste et atomisée. De nos jours, l’action personnelle semble être plus valorisée que l’action collective. À cela s’ajoute le fait que beaucoup de problèmes semblent trop complexes et insolubles, et que les grandes sociétés et les technologies, en particulier les technologies numériques, semblent plus puissantes et plus rapides que les gouvernements.

Pour ce qui est d’inciter les jeunes à voter, je constate que l’appel traditionnel au sens du devoir n’a plus l’effet qu’il avait sur les générations plus âgées, surtout celles qui ont connu les sacrifices imposés par la guerre. Lorsque je parle de vote aux jeunes, je parle d’un autre type de devoir, un devoir envers soi-même. L’éthique de l’authenticité personnelle qui prévaut aujourd’hui est en quelque sorte devenue la valeur suprême, qu’il s’agisse d’artistes musicaux s’exprimant dans leurs propres compositions ou de personnes donnant leur avis sur le moindre sujet sur les médias sociaux. Ce que je dis, surtout aux jeunes, c’est que, s’ils vivent vraiment selon le credo de l’authenticité personnelle et la considèrent comme la forme la plus élevée d’intégrité personnelle, pour être fidèles à eux-mêmes, ils doivent exprimer leurs points de vue dans les urnes, que cela change ou non le résultat électoral.

Je comprends et je respecte le point de vue du député qui a parrainé la motion en toute bonne foi et par souci réel de notre démocratie. Toutefois, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de revoir la réforme électorale à l’heure actuelle.

J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier et féliciter les principales analystes de la Bibliothèque du Parlement qui ont été affectées au comité et ont produit un rapport si extraordinaire, qui, comme je l’ai déjà dit dans mon intervention, continue d’être utilisé aujourd’hui comme manuel dans les cours de sciences politiques. Je parle de Dara Lithwick et d’Erin Virgint, qui ont été vraiment exceptionnelles.

J’aimerais aussi souligner le professionnalisme sans pareil de la greffière du comité Christine Lafrance. C’est une greffière chevronnée, d’une efficacité exceptionnelle. Avec Mme Lafrance au volant, tout s’est déroulé sans hic.

 

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