Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : l’aide medicale à mourir en cas de maladie mentale grave
13 février 2024

Monsieur le Président, c’est par sens du devoir que je me suis joint à la dernière mouture du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a été expressément chargé d’étudier la question de savoir si le système de santé est prêt à étendre l’aide médicale à mourir aux cas de maladie mentale grave. Il s’agit d’une question d’une grande importance pour la société canadienne. Un grand nombre d’électeurs préoccupés m’ont écrit pour m’en parler.

Au début, j’ai humblement remis en question mes compétences pour siéger au comité. Je ne suis pas psychiatre. Je ne suis pas médecin. Je n’ai pas d’expertise ni d’expérience dans ce domaine. Cependant, dans une démocratie, tout n’est pas laissé aux experts. Le peuple, par l’intermédiaire de ses représentants élus, fixe des paramètres juridiques dans des domaines d’intérêt public en adoptant des mesures législatives et réglementaires. C’est d’ailleurs ce qui se passe depuis 2016 avec la question de l’aide médicale à mourir.

Cela dit, il est important d’écouter et de consulter attentivement les experts, car il est important de tenir compte des connaissances et des expériences faisant autorité. C’est d’ailleurs tout le contraire de ce que prône le populisme nouveau genre.

Je suis d’accord avec le comité lorsqu’il recommande de reporter indéfiniment l’accès à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. L’enjeu central ici est la question du caractère irrémédiable de la maladie, c’est-à-dire la question de savoir s’il est possible de guérir une personne atteinte d’une maladie mentale grave afin d’alléger ses terribles souffrances, qui s’apparentent d’ailleurs à des souffrances physiques.

Selon la loi, pour qu’une personne soit considérée comme admissible à l’aide médicale à mourir, la maladie doit être à la fois grave et irrémédiable. Le problème est qu’il est plus difficile d’établir le caractère irrémédiable d’un trouble psychiatrique que celui d’un trouble somatique, c’est-à-dire un trouble de santé physique. Dans le cas des troubles psychiatriques, il est infiniment plus difficile d’établir un pronostic précis et exact.

Compte tenu de la difficulté d’établir un pronostic raisonnablement certain à propos d’une maladie mentale, le caractère irrémédiable de la maladie devra nécessairement être établi sur la base d’un examen rétrospectif, c’est-à-dire une évaluation de l’étendue des traitements auxquels le patient a déjà participé et de l’absence d’autres options de traitement ayant le potentiel d’alléger ses souffrances. Le problème est que les évaluateurs de l’aide médicale à mourir n’auront probablement pas été impliqués dans les traitements passés, ce qui rend difficile l’évaluation de la qualité de ces traitements. Lorsqu’il s’agit d’établir le caractère irrémédiable d’une maladie mentale, il a été démontré que le taux d’exactitude était de moins de 50 %, c’est-à-dire qu’il vaudrait mieux tirer à pile ou face.

Pour citer le Dr Sonu Gaind, l’un des experts ayant comparu devant le comité, « les données produites un peu partout dans le monde démontrent que le caractère irrémédiable ne peut pas être prédit dans le cas des maladies mentales. Autrement dit, la première mesure de sauvegarde de l’[aide médicale à mourir] serait déjà court-circuitée selon les données qui révèlent que les prédictions sont erronées dans plus de la moitié des cas. »

Il convient de souligner qu’aux termes de la loi sur l’aide médicale à mourir, une certitude clinique du caractère irrémédiable n’est pas réellement requise. Il est important ici de souligner que la définition du caractère irrémédiable diffère selon qu’on l’aborde d’un point de vue juridique ou clinique.

En effet, dans la loi sur l’aide médicale à mourir, l’expression « grave et irrémédiable » n’a pas le même sens qu’en médecine. Elle est définie comme le caractère incurable d’une maladie, le fait de se trouver dans une situation médicale qui « se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités » et qui « cause des souffrances physiques ou psychologiques » intolérables qui ne peuvent être apaisées « dans des conditions [que la personne] juge acceptables ».

En droit, il n’est donc pas nécessaire d’établir le caractère irrémédiable avec un degré de certitude clinique. Le patient et l’évaluateur doivent plutôt parvenir à une compréhension commune fondée notamment sur une analyse de l’historique des traitements par l’évaluateur. Il y a une part de subjectivité, aussi bien du côté du patient que de l’évaluateur. Naturellement, les biais philosophiques, les valeurs et les principes éthiques de l’évaluateur auront aussi une certaine influence dans cet exercice subjectif.

Comme le Dr Gaind l’a suggéré aux membres du comité: « Faites ces contorsions mentales avec vos électeurs. Dites-leur que leur proche atteint de maladie mentale a obtenu l’[aide médicale à mourir], non pas à la suite d’une évaluation clinique fondée sur la médecine ou la science, mais plutôt à la suite d’une décision éthique de l’évaluateur, et essayez ensuite de les convaincre que c’est tout à fait correct. »

Pour déterminer l’admissibilité à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, il est important de pouvoir distinguer des idées suicidaires d’une demande réfléchie d’aide médicale à mourir. Il faut garder à l’esprit que les tentatives de suicide ne sont pas toujours des actes irréfléchis et impulsifs découlant d’un état de panique. Cela relève plutôt du stéréotype. Les psychiatres disent que certains suicides ne sont pas commis dans un moment de frénésie, mais qu’ils sont plutôt soigneusement planifiés à l’avance.

Le Dr Tarek Rajji, médecin-chef du Comité médical consultatif au Centre de toxicomanie et de santé mentale, a déclaré au comité: « Il n’y a pas de moyen évident de cerner les idées suicidaires ou une intention suicidaire dans les demandes d’aide médicale à mourir. »

Je cite encore le Dr Gaind: « Les données scientifiques démontrent l’impossibilité de distinguer entre les idéations suicidaires causées par la maladie mentale et les conditions qui conduisent à faire une demande d’AMM pour des motifs psychiatriques. Les caractéristiques en commun dans les deux situations laissent entendre qu’il n’y a peut-être aucune distinction à établir. »

Aux Pays‑Bas, l’aide médicale à mourir est conditionnelle à une évaluation faite par un médecin indépendant, et, dans les cas de souffrances psychiatriques, à une troisième évaluation par un psychiatre indépendant, préférablement un spécialiste du trouble qui affecte le patient.

Le problème de la loi canadienne actuelle, c’est qu’elle ne contient aucune obligation qu’un des évaluateurs soit un psychiatre, même si les enjeux de psychiatrie sont extrêmement complexes. Souvent, les patients ont plus d’une maladie. On dit qu’entre 71 et 79 % des patients en psychiatrie qui ont reçu l’aide médicale à mourir aux Pays‑Bas souffraient de plus d’un trouble psychiatrique.

Les êtres humains ne sont pas des atomes rationnels indépendants qui exercent leur autonomie avec une vision parfaitement claire et sans aucune influence. Nous ne sommes pas aussi libres que nous le croyons. Nous naissons et grandissons dans une famille et une communauté et nous sommes influencés par les possibilités qui nous sont offertes et par les contraintes qui nous sont imposées.

Je me demande parfois si nous ne sommes pas en train de transformer l’autonomie personnelle en une sorte d’idéologie. Je dis « je me demande » parce que, en tant que libéral, je n’ai pas reçu le don de l’absolutisme que les idéologues ont reçu.

Les demandes d’aide médicale à mourir peuvent être influencées, et même motivées, par des facteurs externes comme la pauvreté et l’isolement, c’est-à-dire par des facteurs psychosociaux. Selon le Dr Gaind, « les personnes aux prises avec une maladie mentale ont une incidence plus élevée de souffrance psychosociale ».

Cela signifie que les évaluateurs des demandes d’aide médicale à mourir se tromperont plus de la moitié du temps lorsqu’ils prédiront l’irrémédiabilité, qu’ils croiront à tort qu’ils filtrent la tendance suicidaire et qu’au lieu de cela, ils permettront la mort de Canadiens suicidaires marginalisés dont la situation aurait pu s’améliorer.

Archibald Kaiser, professeur à l’École de droit Schulich et au département de psychiatrie de la faculté de médecine de l’Université Dalhousie, a ajouté: « En 1991, la Cour suprême a conclu que les personnes atteintes de maladie mentale ont toujours été victimes de mauvais traitements, de négligence et de discrimination. »

Le Dr Gaind a également souligné que la souffrance est cumulative, et que les épreuves de la vie alimentent malheureusement une grande partie de la souffrance des personnes atteintes de troubles mentaux, et que cette réalité est encore plus marquée chez les populations marginalisées.

Il est en fait possible que la marginalisation fondée sur le sexe puisse influencer les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est la seule condition médicale sous-jacente. Nous savons que dans les pays qui autorisent l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement de troubles mentaux graves, le ratio entre les femmes et les hommes qui demandent l’aide médicale à mourir est de deux pour un.

Pour leur part, les représentants autochtones ont exprimé de sérieuses réserves quant à l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de troubles mentaux. Selon le professeur Kaiser:

En février 2021 [...] de nombreux signataires autochtones distingués ont écrit au Parlement pour dire que la consultation [...] n’a pas été suffisante et qu’elle n’a pas tenu compte des disparités existantes en matière de santé [...] que rencontrent les Autochtones par rapport aux personnes non autochtones. Ils affirment que leur peuple est vulnérable à la discrimination et à la contrainte et devrait être protégé des conseils non sollicités.

Nous savons que le racisme systémique existe dans le système de santé. Parlons-en à la famille de Joyce Echaquan. Quelle incidence aurait le racisme systémique sur le taux d’acceptation des demandes d’aide médicale à mourir présentées par des personnes autochtones ou racisées? La question est pertinente.

Voici ce que la Dre Lisa Richardson, chef de file stratégique au Centre for Wise Practices in Indigenous Health du Women’s College Hospital, a déclaré à un comité sénatorial le 3 février 2021: « Dans un environnement où il existe à la fois du racisme systémique et du racisme interpersonnel, je ne crois pas que les Autochtones seront en sécurité. Je ne crois pas que les préjugés et les partis pris contre les Autochtones seront sans effet sur la prise de décisions et sur les conseils relatifs à l’aide médicale à mourir pour les Autochtones, peu importe toute l’éducation qu’on leur offrira sur la question. »

Les communautés autochtones, dont bon nombre connaissent des taux de suicides élevés, en particulier chez les jeunes, pourraient craindre que l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué n’ait un effet de contagion sur la tendance suicidaire.

Il y a aussi la question élémentaire de la capacité du système de santé du Canada de répondre à l’élargissement de l’aide médicale à mourir. En effet, ses ressources sont déjà utilisées au maximum.

Selon Eleanor Gittens de la Société canadienne de psychologie, notre pays n’a pas encore établi la parité entre les soins physiques et mentaux disponibles. Je la cite: « Les soins et les traitements en santé mentale ne sont pas couverts par l’assurance-maladie et ne sont pas aisément accessibles. »

Comme nous ne savons pas au juste combien de personnes demanderaient l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, nous ignorons s’il y a suffisamment d’évaluateurs qualifiés. Certains estiment que bien au-delà de 2 000 patients par année recevraient l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental, et que le nombre de demandes d’admissibilité serait encore plus élevé. Je sais que ce chiffre est contesté.

Le fait que Santé Canada a publié une norme et un module de formation au sujet de l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué ne signifie pas que le système est prêt. Un édifice construit sur des fondations fragiles n’est pas prêt à être occupé, peu importe le niveau d’achèvement de sa structure. Il n’y a aucune mesure de sauvegarde pour empêcher que des facteurs psychosociaux comme la pauvreté, la précarité du logement ou la solitude, entre autres, mènent à une augmentation du nombre de demandes d’aide médicale à mourir chez les personnes atteintes de maladies mentales.

Voici ce qu’a indiqué le Dr Rajji: « Le document sur les normes, celui préparé par le groupe d’experts, dit que ce ne sont pas des lignes directrices cliniques, et c’est ce qui manque pour assurer la qualité des soins. » En outre, le Dr Gaind a également affirmé ceci: « [C]’est une fiction juridique que l’admissibilité à l’AMM soit déterminée en fonction d’un jugement clinique objectif. En fait, je constate régulièrement que les valeurs des praticiens influencent l’interprétation des critères d’admissibilité à l’AMM et des protections. »

Selon un article paru dans Impact Ethics, « les rares pays qui autorisent l’AMM dans les cas où la maladie mentale [est le seul problème médical invoqué] se sont dotés de mesures de sauvegarde que n’a pas le Canada, comme l’assurance que tous les soins possibles ont été prodigués et qu’il n’y a plus de solution de rechange raisonnable ou la futilité du traitement avant de déterminer si le patient est admissible à l’AMM. »

Au Canada, un patient pourrait être admissible à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème invoqué même s’il refuse un traitement. Il arrive souvent qu’un patient ayant des problèmes psychiatriques refuse un traitement supplémentaire en raison de la lassitude qu’il éprouve à l’égard des traitements. Alors que la fatigue thérapeutique a été étudiée dans le contexte du VIH et du diabète de type 1, dans le but d’élaborer des stratégies pour aider à la surmonter, la fatigue thérapeutique n’a pas encore fait l’objet d’une attention particulière dans le domaine de la psychiatrie. Une meilleure compréhension de la fatigue thérapeutique pourrait déboucher sur d’autres possibilités que l’aide médicale à mourir, comme des traitements palliatifs ou axés sur le rétablissement.

Je respecte le Sénat. Je reconnais sa valeur. Les sénateurs apportent plus qu’un simple second examen objectif; ils apportent leur expertise dans des domaines essentiels à l’élaboration de bonnes politiques publiques, mais les sénateurs ne sont pas élus. Ils ne sont pas la voix du peuple. Le gouvernement n’a jamais eu l’intention d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale.

Le gouvernement était à court de pistes pour respecter le délai imposé par la cour dans l’arrêt Truchon afin de modifier la loi et de supprimer l’exigence d’une mort raisonnablement prévisible pour l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Il ne pouvait pas se permettre un jeu de ping-pong procédural avec le Sénat au sujet de son amendement de dernière minute visant à supprimer l’exclusion relative aux maladies mentales du projet de loi C‑7. Il a dû accepter l’amendement du Sénat pour que le projet de loi soit adopté.

À mon avis, nous ne sommes pas prêts pour l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué. Nous ne pouvons pas déterminer l’irrémédiabilité avec un degré acceptable de certitude et d’objectivité. Nous ne pouvons pas faire la distinction entre une demande d’aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale et des idées suicidaires. Nous ne sommes pas en mesure d’isoler les facteurs psychosociaux qui pourraient être à l’origine de la demande. Nous n’avons pas consulté comme il se doit les collectivités racisées pour tenir compte de leurs points de vue, de leurs préoccupations et de leurs craintes, notamment les communautés autochtones, et nous n’avons pas prévu de mesures de sauvegarde dans la loi.

Nous n’exigeons pas la participation d’un psychiatre à l’évaluation ni qu’une personne dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale ait raisonnablement épuisé les traitements disponibles avant de faire une demande d’aide médicale à mourir. Les quelques autres pays qui autorisent l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué ont cette exigence.

Nous n’avons pas étudié et compris la fatigue thérapeutique de manière à pouvoir élaborer des stratégies susceptibles de conduire un patient vers d’autres options thérapeutiques non létales et, enfin, nous avons permis à un organe non élu, le Sénat, de diriger ce dossier.

 

 

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