Francis Scarpaleggia
Francis Scarpaleggia
Député de Lac-Saint-Louis
Discours : projet de loi C-13 (étape du rapport)
10 mai 2023

Monsieur le Président, en tant que député qui représente de nombreux anglophones, une communauté minoritaire qui a des besoins uniques dans le contexte québécois, j’ai examiné le projet de loi C‑13 d’un œil critique.

Premièrement, je dois dire que ma communauté n’a pas été impressionnée par le recours préventif, certains diraient presque désinvolte, à la disposition de dérogation par le gouvernement du Québec pour éviter que sa loi linguistique récemment adoptée, la loi 96, et sa loi sur les symboles religieux, la loi 21, subissent un examen juridique et politique.

Les anglophones du Québec ont un point de vue politique unique, parce qu’ils constituent une minorité au sein d’une minorité. Cela fait qu’ils comprennent particulièrement bien l’importance des droits des minorités, y compris les droits de la minorité francophone. Cette compréhension dote les anglophones du Québec d’un sens inné de l’équité et de la modération qui fait que la communauté se méfie des interventions excessives du gouvernement qui risquent de nuire aux droits des minorités linguistiques et, par la bande, aux droits des minorités en général.

Mon collègue de Mont‑Royal l’a bien expliqué. L’article 1 de la Charte des droits et libertés permet qu’on passe outre aux droits dans une société démocratique lorsqu’il est raisonnable de le faire. Le recours à la disposition de dérogation lorsque l’article 1 est jugé insuffisant par le législateur est une reconnaissance tacite que des droits sont bafoués de façon déraisonnable.

Malheureusement, l’étude du projet de loi C‑13 arrive au moment même où le gouvernement Legault adopte une approche musclée pour atteindre un objectif légitime, soit la protection de la langue française contre les pressions incessantes de la marée anglophone, pressions exacerbées par les nouvelles technologies des communications axées sur Internet, un problème auquel s’attaque le gouvernement au moyen des projets de loi C‑11 et C‑18.

J’estime que l’on confond le projet de loi C‑13 et la loi 96, si bien qu’il s’est installé un discours qui embrouille des faits importants concernant le projet de loi et les garanties relatives aux langues officielles en situation minoritaire au Canada. Les anglophones du Québec ont des doléances légitimes à l’égard de certains aspects de la loi 96, mais le projet de loi C‑13 n’est pas la loi 96.

Comme l’a déclaré l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, l’objectif du projet de loi C‑13 est d’accorder une attention particulière à la minorité francophone hors Québec et ne va pas à l’encontre des intérêts de la communauté anglophone au Québec. Je le cite:

Je ne sais pas vraiment ce qui les préoccupe dans le projet de loi [C‑13]. Pour moi, la promotion du français ne va rien enlever aux anglophones [...] On peut aider une communauté qui est en difficulté [c’est-à-dire la communauté francophone hors Québec] sans nuire à une autre [...] Pour moi, l’enjeu des anglophones au Québec n’a rien à voir avec le gouvernement fédéral, mais bien avec le gouvernement du Québec.

Cela dit, à mon avis, nous aurions pu nous passer du préambule du projet de loi C-13, avec sa mention de la Charte de la langue française, et la confusion et la controverse qu’elle a semées. En fait, il y a eu une tentative de supprimer la référence, mais cette tentative a été bloquée par les partis d’opposition au sein du comité. On ne s’attendrait pas à une coopération de la part des conservateurs ou du Bloc, mais l’absence de soutien de la part du NPD a été décevante.

Le préambule du projet de loi C-13 fait allusion à l’existence de la Charte de la langue française, tout comme il fait allusion à des garanties constitutionnelles absolues pour les communautés linguistiques minoritaires partout au Canada, y compris la communauté anglophone du Québec.

Par exemple, on peut lire dans le préambule que le gouvernement:

s’est engagé à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement, compte tenu de leur caractère unique et pluriel et de leurs contributions historiques et culturelles à la société canadienne, et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne;

Les préambules n’ont toutefois pas force de loi. Ils ne sont ni normatifs ni déterminants. En fait, ils n’ont pas toujours fait partie des mesures législatives canadiennes. Selon un article de Kent Roach publié dans la Revue de droit de McGill, entre 1985 et 1990, seulement neuf lois avaient des préambules longs et substantiels. Depuis, on observe l’emploi croissant de préambules dans les lois. Comme l’indique M. Roach: « Une fois que les ministères ont vu que leurs collègues avaient recours à des préambules, il y a eu une demande accrue pour ceux-ci. »

Le même article décrit les types de préambules et les fins auxquelles ils sont utilisés. Dans certains cas, les préambules reconnaissent la « complexité [...] de la gouvernance moderne » et représentent « un appel [...] à accepter la tolérance et la diversité comme faisant partie de ce qu’est l’identité canadienne ». M. Roach donne l’exemple du préambule de la Loi sur le multiculturalisme canadien, qui stipule que « le gouvernement fédéral reconnaît que la diversité de la population canadienne sur les plans de la race, de la nationalité d’origine, de l’origine ethnique, de la couleur et de la religion constitue une caractéristique fondamentale de la société canadienne ».

Il poursuit en disant que la « nature symbolique des préambules fait en sorte qu’ils portent souvent sur les politiques de reconnaissance » et ils « nomment fréquemment des objectifs qui sont jusqu’à un certain point divergents ».

Il ajoute ensuite: « Par définition, les préambules servent mieux à garantir des objectifs expressifs que des objectifs instrumentaux, car ils n’imposent pas de droits et de devoirs. » Voici une dernière citation: « Les tribunaux ont souvent été réticents à accorder une grande importance aux préambules. »

Tout cela ressemble beaucoup au préambule du projet de loi C‑13, et je cite: « [...] il reconnaît la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne [...] »

En réponse à ceux qui soutiennent que les préambules sont interprétatifs, je dirais que ce n’est généralement vrai que lorsque le corpus législatif en question n’est pas clair, ce qui n’est pas le cas pour le projet de loi C‑13. Je cite la jurisprudence britannique dans l’affaire Attorney-General c. Hanover: « Ce n’est que lorsqu’il transmet un sens clair et défini par rapport à un texte de loi relativement obscur ou indéfini que le préambule peut légitimement prévaloir. »

À la page 445 du chapitre 14 de son livre, intitulé The Construction of Statutes, Ruth Sullivan dit ceci: « Il faut également interpréter les préambules en tenant compte d’autres indicateurs de l’objectif ou de la signification de la mesure législative, qui peuvent aller dans le même sens ou dans le sens contraire. En cas de contradiction entre le préambule et une disposition de fond, c’est cette dernière qui prévaut habituellement. »

Enfin, je cite l’ancien juge La Forest, de la Cour suprême: « [...] il serait étrange qu’il faille accorder plus d’importance aux termes généraux d’un préambule qu’aux dispositions qui traitent spécifiquement de la question ».

Le corps du projet de loi C‑13 utilise un langage précis, y compris en ce qui concerne la nécessité de protéger les intérêts de la minorité anglophone du Québec. Cela devrait permettre d’éviter toute confusion qui, autrement, obligerait les instances judiciaires à se reporter au préambule du projet de loi pour interpréter celui-ci.

Par exemple, le projet de loi C‑13 ajouterait ceci, noir sur blanc, à l’article 3 de la Loi sur les langues officielles: « Pour l’application de la présente loi [...] les droits linguistiques doivent être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet ». Le corps du texte répète également l’énoncé du préambule concernant l’engagement du gouvernement fédéral à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement.

Cela m’amène à la crainte que le préambule du projet de loi C‑13 sanctionne le recours préventif à la disposition de dérogation prévue dans la Constitution.

Certains prétendent que la mention de la Charte de la langue française dans le préambule du projet de loi C‑13 sanctionne le recours préventif à la disposition de dérogation par le gouvernement du Québec. Or, le gouvernement fédéral a dit sans équivoque qu’il n’approuve pas le recours préventif à la disposition de dérogation, que ce soit contre les syndicats en Ontario ou relativement à la loi 96 ou à la loi 21 au Québec. Le procureur général a dit clairement que le gouvernement fédéral contestera le recours auprès des instances judiciaires, plus précisément lorsque la contestation de la loi 21 se rendra à la Cour suprême.

Le Parlement a également fait connaître son point de vue récemment lorsqu’il a voté contre la motion du Bloc visant à confirmer la légitimité du recours préventif à la disposition de dérogation. Je souligne que les conservateurs ont voté pour la motion du Bloc. Cependant, les deux partis n’ont pas réussi à l’emporter.

Le fait que le Parlement et le gouvernement ont ainsi exprimé officiellement leur opposition au recours préventif à la disposition de dérogation est important. Comme l’a dit la Cour suprême en 2023 dans l’affaire Murray‑Hall c. Québec: « Aux fins d’analyse de l’objet, les tribunaux font [également] appel [...] à des éléments de preuve extrinsèque tels que les débats parlementaires et les procès-verbaux de comités parlementaires. » Cela comprendrait, à mon avis, les déclarations du gouvernement et les votes au Parlement.

Ainsi, à l’avenir, il ne devrait y avoir aucune confusion dans l’esprit d’un tribunal sur le fait que les mentions de la Charte de la langue française dans le projet de loi C‑13 ne signifient pas que le gouvernement fédéral a l’intention de légitimer le recours préventif à la disposition de dérogation par le Québec.

Enfin, une chose qui a été perdue dans ce débat est que la disposition de dérogation ne peut pas supplanter le droit à l’éducation dans la langue de la minorité, ni le droit de parler anglais au Québec devant les tribunaux ou à l’Assemblée nationale.

Certains suggèrent que le projet de loi C‑13 permettrait au gouvernement du Québec d’ignorer ses obligations envers la communauté anglophone dans le cadre de programmes financés par le gouvernement fédéral et mis en œuvre par le biais d’accords négociés avec la province. Toutefois, ces accords sont assujettis à l’article 20 de la Charte des droits et libertés, qui prévoit que le public a droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec les institutions fédérales ou pour en recevoir les services, ainsi qu’à la partie IV de la Loi sur les langues officielles, qui vise à mettre en œuvre l’article 20.

Joël Godin (Portneuf—Jacques-Cartier, PCC)

Monsieur le Président, mon collègue de Lac-Saint-Louis et moi n’avons pas nécessairement les mêmes opinions sur ce sujet.

J’aimerais lui rappeler en premier lieu que, aujourd’hui, nous ne débattons pas du projet de loi en troisième lecture. Nous débattons du projet de loi à l’étape du rapport. Les libéraux ont déposé 10 motions, et je répète que ces motions auraient dû être présentées en comité lorsque nous avons travaillé sur les amendements.

Il y a eu de la confusion et les libéraux ont déposé de nombreux amendements en double. Ces amendements étaient identiques, et, lorsque les libéraux les ont présentés en comité, ils ont dû les annuler. On dirait qu’on ne se parle pas dans ce parti.

Par ailleurs, j’aimerais remercier mon collègue d’avoir reconnu le travail accompli par l’opposition officielle en collaboration avec le Bloc québécois relativement à qui a été fait au Québec pour reconnaître que, au Québec, la langue commune est le français. C’est une situation assez particulière en Amérique du Nord. Il faut reconnaître que, au Québec, la langue qui est vulnérable, c’est le français. J’aimerais savoir si mon collègue considère que l’anglais est en danger dans la province de Québec. J’ai un gros point d’interrogation.

Un autre exemple démontre la confusion qui règne. Mon collègue vient de parler du préambule. Il met en doute sa validité et il se demande si ce sera reconnu devant les tribunaux. Cela démontre toute l’ambiguïté du travail du gouvernement libéral sur le projet de loi sur les langues officielles. C’est cacophonique; c’est mêlé. Une chatte ne retrouverait pas ses chats.

J’aimerais entendre les commentaires de mon collègue à ce sujet. Je vais les écouter attentivement.

Francis Scarpaleggia

Monsieur le Président, j’ai parlé du préambule pour rassurer ma communauté quant au fait qu’il n’aura aucun pouvoir de retirer les droits de la communauté anglophone.

En ce qui concerne la communauté anglophone, la langue anglaise n’est évidemment pas menacée en Amérique du Nord. Néanmoins, une communauté peut être mise au défi sans que sa langue soit en danger. La communauté anglophone a beaucoup d’institutions culturelles. Elle a sa propre scène des arts et de la culture. Pour qu’une communauté se sente chez elle, pour qu’une communauté puisse s’épanouir, il faut qu’elle ait accès à ce genre d’institutions culturelles, par exemple, pour ne pas parler de ses institutions éducatives.

Alors, le plan d’action pour les langues officielles va aider la communauté à maintenir ses institutions qui sont importantes pour elle. Je pense que le député d’en face se doit de le reconnaître.

Luc Thériault (Montcalm, BQ)

Monsieur le Président, à force d’entendre les libéraux parler, on est de plus en plus découragé.

On confond toujours les mots et les concepts. Ces derniers sont importants. Tantôt, le député de la Nouvelle-Écosse parlait de la minorité anglophone du Québec. Dans la même phrase, il a parlé de la minorité anglophone du Québec et du Programme de contestation judiciaire. L’ONU a indiqué qu’il n’y avait pas de minorité anglophone au Québec. Il y a une communauté anglophone, qui est la majorité canadienne et continentale. Voilà la réalité.

Le fantasme de Pierre Elliott Trudeau était d’instaurer le bilinguisme partout au Canada. Or j’ai sous les yeux un tableau de Statistique Canada dans lequel se trouvent des données sur le bilinguisme au Canada de 1971 à 2021. En 1971, le taux de bilinguisme au Canada était d’à peine 6 %, et, actuellement, il est à 9 %. Au Québec, le bilinguisme se chiffrait à 26 % en 1971, et à près de 50 % en 2021. Après cela, on va me dire que la communauté anglophone mérite d’avoir des investissements à cette hauteur et qu’elle se sent menacée, alors qu’elle a des universités et des hôpitaux.

Qu’on me trouve une communauté francophone qui a autant de services dans le reste du Canada.

Francis Scarpaleggia

Monsieur le Président, le député a parlé des hôpitaux. Je peux dire que j’étais entièrement derrière les efforts de Mme Gisèle Lalonde, qui est décédée récemment. Elle était la figure de proue du combat qui a été mené pour conserver tous les services à l’Hôpital Monfort et elle a pu se prévaloir du Programme de contestation judiciaire pour mener ce combat.

Je tiens à ce que les francophones hors Québec aient leurs institutions. C’est grâce à la Charte canadienne des droits et libertés qu’ils peuvent avoir leurs écoles. C’est grâce à mon collègue le député de la Nouvelle‑Écosse que le recensement va maintenant inclure une question sur les ayants droit. Évidemment, cela comprend les ayants droit francophones en dehors du Québec

 

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